François Brousse n’est plus

Article de Jacques Queralt

Journal Midi Libre, Perpignan, 2 novembre 1995 

Le Sage de Perpignan s’est endormi

Poète de la magie et de l’envol, des abîmes et des harmonies, des voltiges et des vertiges, des ivresses et des sommeils, François Brousse vient de nous quitter. Le Sage de Perpignan, à la parole sonore et lumineuse, était âgé de 82 ans.

Né à Perpignan le 7 mai 1913, il fut longtemps professeur de philosophie au Lycée de Jeunes Filles et devint une figure marquante de notre ville et bien au-delà.

Philosophe, prophète, grand initié. On lui doit, au fil des ans et des amitiés, plusieurs « écoles de la sagesse » : Agni, l’Oracle, le Cénacle – rue de la Lanterne – et la publication d’une soixantaine d’ouvrages, dont un grand nombre réédités. Des recueils de poèmes, des essais, et quelques romans.

Son dernier livre, Rencontre avec l’Être, un pavé de quatre cents pages de poèmes, est paru il y a à peine un mois à La Licorne Ailée.

La vie littéraire de cet écrivain et penseur pour qui « la poésie ne peut vivre que dans l’ivresse de la lumière de l’idéal » remonte à 1956 (1) et aura été tout particulièrement féconde.

On doit détacher de sa bibliographie L’AbeiIle de Misraïm, un superbe roman fantastique, ces recueils de poèmes aux jolis titres que sont La Harpe aux cordes de lune ou Le Chant cosmique de Merlin et une série d’essais sur des thématiques diverses : De Pythagore à Camille Flammarion et Lamennais et le Christianisme universel.

Doté d’une vaste culture et d’un intérêt insatiable pour les choses du secret sinon de l’invisible, il se passionna aussi bien pour Ézéchiel, le mage chaldéen que pour Zoroastre, l’apôtre du soleil ou L’Ordre de l’étoile Polaire, Nostradamus et le comte de Saint-Germain.

Toute son œuvre, celle écrite en vers ou en prose comme celle professée – et avec quelle voix habitée et généreuse – était pourrait-on dire frappée au sceau exclusif d’Isis, la plus illustre des déesses égyptiennes qui, ainsi que le rapporte l’ancienne légende, ravit « le nom secret du Dieu suprême » et fut invoquée comme initiatrice des cercles ésotériques.

(1) – La vie littéraire de l’auteur remonte à 1938 avec l’édition de son premier ouvrage de poésie Le Poème de la terre

Une quête d’absolu

Loin de tous les allumés du matérialisme et des modes cathodiques et spectaculaires, François Brousse a consacré toute sa vie à une quête d’absolu et de lumière par les chemins fraternels de la métaphysique et de l’ésotérisme, entre le chiffre et la lettre. De la gnose et la kabbale – il en tira les secrets aussi bien dans la Bible que dans l’œuvre de Victor Hugo –  aux spiritualités et aux symboliques les plus subtiles de notre Méditerranée et d’ailleurs.

Connaissance qu’il ne gardait pas pour lui, mais répandait sous forme de livres et de conférences, d’un enseignement qui à certains moments – et de manière pionnière – débordait sur les terrasses des cafés de la Loge.

Le Maître – son regard et son sourire sont inoubliables – avait de nombreux disciples. Sa pensée était recherchée, sa parole écoutée – l’on venait parfois de très loin s’en nourrir. Ce n’était pas seulement du pittoresque provincial. Tous ses amis le pleurent aujourd’hui, profondément.

Nous avions connu François Brousse, vers le milieu des années 50, au Lycée Arago, où il mettait beaucoup de lyrisme à nous expliquer les arcanes de la cosmographie.

La dernière fois que nous le vîmes en public, ce fut l’an passé au palais des Congrès à l’occasion d’un débat animé par Bernard-Henri Lévy. Le vieux sage, l’un des rares qui releva le gant, le fit, en dépit de la maladie qui l’éprouvait, avec la même conviction éblouie. Toute hugolienne.

Jacques Queralt