François Brousse, l’anarchiste‑idéaliste 

Journal Midi Libre, Perpignan, 9 novembre 1986

Par P.L.

Pour le joindre, pas une adresse, mais plusieurs : rue de la Lanterne d’abord où ses fidèles se ras­semblent tous les soirs de 18 à 19 heures. Mais vous pouvez aussi le « choper » en fréquen­tant le salon de thé de la Rive droite, le café de la Loge et au­tres lieux publics où il tient son auditoire sous le charme de la conversation. Mais n’allez pas croire que cet admirable orateur à la mémoire phénoménale se contente d’être un conteur d’histoires.

Non ! François Brousse est avant tout un philo­sophe. Par profession d’abord ! Après avoir enseigné cette mati­ère durant des années, de Ba­gnères‑de‑Bigorre à Prades, Perpignan, Montpellier et Bé­ziers, il assure aujourd’hui : – Je me pliais au programme mais sans cacher mes préférences pour des philosophes qui se rapprochaient de la connaissance. Essentiellement Platon, Berg­son et Schopenhauer.

 Et voilà le grand mot lancé ! La connaissance métaphysique dont il dispense l’enseignement aux quêteurs d’absolu marque la trame d’une vie dont il fit : – Dès ma naissance. Je savais tout, à partir de quatorze ans, je connaissais exactement le passé, le présent et le futur.

 Comprenne qui pourra ! Une condition pour cela : s’abstenir de tout à priori…

La souffrance rend amer

 Tenez, pas plus tard que mer­credi, il évoquait les différentes hypothèses de la trahison de Ju­das avant de rappeler le thème de sa dernière conférence à Montpellier : « Les grands initiés d’Occident. » Parmi eux, il place Victor Hugo, son grand homme dont il récite des pans entiers de littérature.

  • Pourtant cela avait plutôt mal commencé. Alors que je vouais une grande admiration à Hugo, j’ai été très déçu d’apprendre qu’il faisait tourner les tables.

La « réconciliation » viendra lorsque François Brous­se lui‑même s’adonnera à cette pratique. Balayé l’auréole ésotérique qui rayonne dans son cénacle, le message de François Brousse se veut simple même s’il est peu entendu « parce que très au‑dessus de la mentalité humaine. C’est encore plus difficile aujourd’hui dans l’âge de déca­dence que nous vivons ».

Son objectif : atteindre la divi­nité. D’autres diraient la sages­se, avec un petit coup de griffe au passage sur le christianisme :

Il est parfaitement inutile de souffrir pour atteindre la divini­té. La souffrance rend souvent amer. C’est le chemin le plus long et le plus difficile.

Il est parfaitement inutile de souffrir pour atteindre la divini­té. La souffrance rend souvent amer. C’est le chemin le plus long et le plus difficile.

François Brousse et les philo­sophies orientales dont il s’ins­pire préconisent trois attitudes pour y parvenir :

  • Aimer tous les êtres humains, « reflets de Dieu » et, par voie de conséquence, bannir la haine, l’envie, la jalousie, comprendre que dans chaque être humain existe une étincelle divine qui s’épanouira tôt ou tard.
  • La deuxième condition est le végétarisme parce que « l’amour doit s’étendre jusqu’au animaux». Il précise que les végétariens se portent beaucoup mieux et vivent plus longtemps que les autres.
  • Enfin dernier volet de la trilo­gie initiatique : étudier tous les grands livres sacrés de la Terre et vénérer tous les prophètes pour aboutir à une espèce de to­lérance universelle.

Pour être sage, François Brousse n’en aborde pas moins les préoccu­pations quotidiennes. Interrogé sur la libération des mœurs, il ré­pond :

  • C’est une excellente cho­se. La sexualité fait partie du monde lui‑même ? Si nous reje­tons avec violence les rapports sexuels, nous aboutissons à un déséquilibre. Les plus chastes sont souvent les plus cruels. Comparez par exemple Robes­pierre à Danton qui menait une vie dissolue. C’est pourtant Danton qui était le plus humain.

Quarante‑quatre ouvrages

Avec la métaphysique, ce per­sonnage épique se consacre à la poésie et à l’écriture. Auteur de quarante‑quatre ouvrages dont plusieurs recueils poétiques et romans, il vient de faire paraître son dernier roman fantastique L’Abeille de Misraïm (Éd. La Licorne Ailée). Citons encore Les Secrets cabalistiques de Victor Hugo, La Trinosophie de l’étoile Polaire et les Œuvres poétiques complètes bientôt en vente en librairie.

Et au fil de la conversation reviennent inlassablement les préoccupations (pour lui, le mot « certitudes » serait plus juste) métaphysiques.

Qua­lifié de prophète par ses pro­ches, il constate que « les prophètes sont nés sur la Terre pour appor­ter un peu de sagesse, de vérité et de lumière aux êtres humains. Mais ils sont terriblement gê­nants parce qu’ils vont à l’en­contre des données sociologiques selon lesquelles tout est déterminé par l’écono­mique et le politique. Or, tout se fait par des êtres d’exception. Il n’y a pas de création sans gé­nie ».

Citant Einstein : – Pour être un grand savant, il faut être at­teint de religiosité, cet anar­chiste, idéaliste et non violent (tel qu’il se définit) ajoute : – Sur l’existence de Dieu, l’immortali­té de l’âme et la réincarnation, je suis intraitable…

Pas même l’ombre d’un doute ?

 Il répond : – Jamais. Parfois je fais sem­blant d’évoquer plusieurs théo­ries, mais c’est pour avoir l’air humain. Même si l’univers en­tier niait l’existence de Dieu, je hausserais les épaules.