François Brousse un sage de bonne compagnie

Article de Jacques Queralt

Journal L’Indépendant, Perpignan, 19 août 1986

Génie

La sagesse est la découverte des secrets essentiels du monde et, en même temps, de pouvoir réaliser dans son corps et dans sa vie… Un sage peut surgir à n’importe quelle période de l’histoire. En Inde, comme en Occident. Ce propos est de François Brousse, le sage cata­lan.

Un but : la connaissance « inté­grale et parfaite » de la Vérité qui est « immuable et invariable », toujours métaphysique. Une éthique : essayer de développer l’Esprit « qui est en nous. » Le développer par tous les moyens, l’intelligence, l’intuition et le sens esthétique… Le reste : la relation sexuelle n’a rien à voir, ni de près, de ni loin, avec la Morale. L’éthique n’est pas le « devoir social ».

Alors, votre sage, obstinément dans les nimbes angéliques ?

Le sage ?… Il n’a aucune attitude sociale et ne préconise pas un régime plutôt qu’un autre. Sa sympathie cependant va vers celui où la liberté individuelle se développe le plus largement possible. Le sage… Diogène, So­crate… presque tous ont été anti‑étatiques et ont rejeté les dictatures.

Le sage de Brousse qui ne se laisse pas enfermer dans la « cage de l’État », ne supporte pas davantage la « cage de la Religion ». Cela signifie‑t‑il qu’il faut larguer toutes les traditions sociales ?

Seul le développement de l’individu (de sa personnalité) peut aboutir à la paix univer­selle… Ces traditions sociales ne sauraient être utilisées que dans la mesure où elles sont des barrières à la volonté de puissance de certains individus.

La religion, une cage ?

Si la religion est une cage, le spirituel, la spiritualité ne perdent‑ils pas leur sens ?

Toutes les religions… voyez le christia­nisme, voyez l’islam… se fondent sur la sépa­rativité. Hors de mon Eglise, point de salut ; Mahomet le plus grand et le dernier des prophètes… Et tous ceux qui n’acceptent pas cette vérité n’iront pas au paradis. Le sage n’admet pas de telles barrières. Il n’y a pas, pour lui, un Unique sauveur du monde, mais une quantité innombrable. Comme le dit la Baghavad Gita : « Le nombre des avatars est aussi vaste que le nombre des vagues de la mer »… C’est qu’en dehors des religions il existe une Sagesse, valable pour tous les hommes, y compris les matérialistes.

Vous désignez là des « religions apparen­tes », mais n’y a‑t‑il pas…

L’ésotérisme ? En effet, à l’intérieur de chaque religion, il y a une religion secrète, faite pour les sages et les initiés, un ésoté­risme. « Rose‑Croix » dans le christianisme, « Soufi » dans l’islam. Pour l’hindouisme et le bouddhisme c’est différent, puisque ce ne sont pas des religions mais des métaphysi­ques ouvertes à tout le monde. Les Templiers, qui étaient des sages, ont laissé un credo ­découvert en Angleterre et qui daterait du XIVème siècle. Selon ce credo, les chrétiens, les juifs et les musulmans… et les païens adorent le même Dieu sous des noms différents. Ce sont donc des frères. Et, en conséquence, ils doivent collaborer au même travail de purifi­cation et de fraternisation universelle.

Rue de la Lanterne

Rue de la Lanterne, à Perpignan, il est un Cénacle (son nom « l’Infini »), François Brousse y rayonne. L’audience de son verbe n’est pas seulement locale (on est rarement prophète en son pays). On vient à lui, de fort loin, de France et d’Europe. L’École de sa­gesse de François Brousse a pignon sur rue depuis bien des lunes. Quelques‑uns, parmi les lycéens des an­nées 55/56 [1955-1956], nous le découvrîmes la tête déjà bien plantée dans les étoiles, décryptant chez les laïques des comètes étranges. La philoso­phie l’avait débarqué sur cette infamilière terre Adélie.

Il lui donnait des noms curieux, latins aussi bien que tibétains et égyptiens (L’Égypte, celle qu’avait chantée, avec Théo­phile Gautier, tout le XIXe siècle, n’avait alors que superficielle presse). Lui qui n’avait pas encore renié sa passion pour Auguste Comte, par inappétence progressive aux systèmes, s’exila du royaume.

 

 

L’évolution du monde

  • Il suffit de lire les poèmes initiatiques que j’écris pour arriver à l’état d’âme supérieur, l’illumination.

Au Cénacle de la rue de la Lanterne, la déclamation des strophes broussiennes aspire à l’infini. Un silence lumineux se projette sur l’évolution du monde. La Poésie nouvelle est là. Indifférente au réalisme, s’interdisant la grossièreté. L’image et la musique sont ses sabots zélés. L’intuition et le rêve ses deux ailes. Des ailes qui le poussent à se faire géant, à se mesurer au souffle épique.

  • La France n’a pas d’épopée, je lui offre mon Orphée (c’est le titre d’un de ses derniers livres).

Voici Orphée, devenu héros de l’Humanité.

« Prométhée, le voleur de feu, a apporté la sagesse à l’homme. Zeus l’a crucifié et Or­phée… libéré ». Orphée ou l’Esprit Humain qui, plus tard, ayant atteint la maturité de son intelligence, réussit à supprimer tous les maux, les heurts et les haines, et établit un monde radieux, composé de surhommes.

  • La Chanson de Roland ? Dépassée, « enfan­tine »
  • La Henriade, de Voltaire ? Un « désas­tre »
  • André Chénier aurait pu parvenir à écrire une épopée. « Mais… crac ! »
  • Il y a… Victor Hugo. « Lui, il a tout créé. » Le Hugo préféré par Brousse, c’est le Hugo (inachevé) de La Fin de Satan et de Dieu. Sa Légende des siècles l’impressionne moins. Il a tout créé, laissant cependant un mince chemin pour une « épopée antique ».

Brousse a bêché le chemin et produit Orphée.

Et l’initié d’ouvrir le ban des lettres de noblesse, de recueillir les reflets des grands miroirs : Jérusalem délivrée du Tasse, le Roland furieux d’Arioste, Le Paradis perdu de John Milton… Le ban se referme sur un rire de regret : – Mon Merlin l’Enchanteur est de la même veine qu’Orphée mais j’ai égaré le manuscrit.

La Licorne Ailée

Distraction d’écrivain. Un écrivain au de­meurant prolixe. Il en est à son quarante‑qua­trième ouvrage (un exemplaire de chaque titre nourrit le Cénacle). Des romans, des essais, des recueils poétiques. Le tirage modeste (300 à 1 000 exemplaires) et un destin confi­dentiel ne déplaisent pas à l’auteur qui a, au moins, deux autres titres d’orgueil à faire prévaloir : – Tous mes ouvrages sont épuisés et une société d’édition se consacre uniquement à la publication de mes livres « La Licorne ailée».

Il achève, d’ailleurs, d’y publier L’abeille de Misraïm (Misraïm, l’ancien nom de l’Égypte). Ce roman écrit en 1953, il n’a pas voulu le remanier. Il baigne dans le plus grand flou rationaliste. Descartes, Copernic… s’abstenir ! Ou alors il faut savoir s’accrocher à cette autre logique.

On peut mourir à travers les âges, par exemple en 1950, et avoir été tué en 1600 avant J.‑C.

L’abeille de François Brousse fait intervenir ce qu’il nomme « les prestiges et les mystères » du Temps et de l’Espace et met en scène des « personnalités » qui, à travers les âges, « s’incarnent sans se transformer tout en se transformant. » On l’aura compris le roman roule, symbole à fond la caisse, ésotérique­ment vôtre.

Voltaire

Mais, il ne faut pas s’imaginer le sage, le mage, le prophète sans cesse en balade avec l’Infini. Il dépose, quelquefois, son baluchon pour tendre l’arbalète. Ce fut tout dernière­ment contre Roger Peyrefitte dont il ne par­tage pas la vue athéiste sur Voltaire.

Voltaire n’était pas athée. Au XVIIIe siècle, deux religions s’affrontaient, le christianisme et le déisme. Voltaire était déiste.

Henri Guillemin

L’an passé, François Brousse s’en prit dans son livre Les Secrets kabbalistiques de Victor Hugo, à l’historien Henri Guillemin. Ce dernier inter­prète les « notes secrètes » de Hugo à partir de la sexualité.

Non, dit Brousse, cette thèse n’explique rien. Hugo, tout bonnement, s’es­saya à être le Nostradamus des âges moder­nes

Le moine

Ce qui est indéniable, c’est que le maître de la Lanterne croit en la force du livre. Raymond Abellio a conté comment, se trouvant en Montserrat, il y rencontra le moine qu’il avait décrit quelques années plus tôt dans un de ses livres. Brousse, aussi, confie avoir rencon­tré dans la vie certaines femmes qui se rappro­chaient remarquablement d’une de ses héroïnes. Un sage – on s’en doutait – ne vit pas que de galopades dans les nuages, les arrière-­pays de la mémoire et les clairières du futur.