Sivâ danse debout dans le gouffre cosmique,
Dont les lointains mirent ses bras multipliés ;
Des soleils jaillissant en cascades rythmiques
Naissent incessamment du frisson de ses pieds.
Une auréole étrange environne sa danse,
Des mondes enflammés s’y tordent en criant ;
Le cadavre du vide, ému d’âpres cadences,
Sent les vivants grouiller dans ses membres géants.
Les constellations se roulent dans l’espace,
Partout la vie sinistre ouvre ses ailes d’or,
Les ciguës affamées dressent leurs bras rapaces.
Les farouches forêts s’élargissent encor…
Sivâ danse, et le vol luxurieux des germes
Baigne la jungle énorme aux cents tigres hurleurs.
L’océan noir remue son gouffre, où l’ombre enferme
Des tourbillonnements d’ivresse et de douleur.
Épouse de la Mort, l’aurore enchanteresse
Écrase les humains sous ses sanglantes roues ;
Les peuples renaissants brillent et disparaissent
Comme l’eau qui ruisselle au flanc des vallons roux.
Sivâ danse, et les dieux formidables éclosent,
Ceints de perles, mitrés de flamme, armés de fer,
Indra, Mithra, Pouchân, rois des apothéoses,
Vritra, Roudra, Yama, souverains des enfers.
Ils trônent au sommet de la coupole immense,
Le tonnerre bondit sous leurs pas irrités,
Tout l’univers s’ébranle autour de leur démence,
Mais les yeux de Sivâ sont pleins d’éternité.
C’est Sivâ qui maintient l’intégrité du monde,
C’est sa danse qui meut les atomes errants,
C’est sa danse qui vibre aux entrailles fécondes,
C’est sa danse qui fait lamenter les torrents !
Mais – ô jour effrayant ! – quand le Danseur sublime
Cessera de danser dans le chaos divin,
Tout s’anéantira parmi le vaste abîme
Et les cieux s’éteindront ainsi qu’un songe vain.
François Brousse
Ivresses et Sommeils, Imp. Labau, Perpignan, 1980, p. 107