La nature de l’homme

[…] Lorsque l’on vous dit qu’il faut laisser de côté votre intelligence, on est en train, je crois, de commettre une très grave erreur. L’erreur est de laisser le glaive de feu que nous a donné la divinité au profit de je ne sais quoi, comme l’instinct, qui doit remplacer l’épée flamboyante de l’archange. […]

François Brousse

Conférence, Prades, 18 décembre 1975, « La nature de l’homme » (Extrait)
dans Philosophies, Clamart, Éd. La Licorne Ailée, 2011, p. 11-16

Il y a dans la kabbale une image : c’est le visage de l’absolu, la tête blanche. Cette tête blanche se penche sur le miroir de l’espace et immédiatement, elle est inversée. Tout ce qui devient grandeur se transforme en petitesse. Tout ce qui était sagesse devient folie. Tout ce qui était force devient faiblesse. Tout ce qui était beauté devient laideur. Tout ce qui était joie devient désespoir et amertume. Nous avons alors la face du démon qui est l’inverse de la face de Dieu.

Effectivement, nous devons rentrer dans l’absolu. Et il est très difficile de comprendre comment nous devons rentrer dans l’absolu, car il y a de fausses images ; par exemple, je vous l’ai dit, l’image de la poupée de sel, celle de Ramakrishna : Nous sommes des poupées de sel qui rentrons dans l’océan, et nous sommes désintégrés dans la masse des eaux océaniques. L’océan étant l’absolu, et nous, n’étant que des êtres relatifs, notre âme disparaît, notre individualité s’efface, et nous rentrons dans un être gigantesque qui nous dépasse. Cette image est vraie et fausse. Nous allons soutenir et souligner ce qui est précisément faux et ce qui est vrai.

Ce qui est faux, c’est que nous perdons notre personnalité. Il y a en nous deux personnalités, évidemment : la personnalité humaine, animale et instinctive, et la personnalité divine. Or la personnalité humaine, animale et instinctive doit disparaître. Il est bien évident que, lorsque vous êtes dans l’absolu, vous n’avez plus besoin de vos instincts de violence ni de vos instincts de cupidité. Vous n’avez pas besoin de procréer, vous n’avez pas besoin de luxure, et vous n’avez pas besoin de haine. La luxure et la haine appartiennent au plan instinctif et animal. Et vous n’avez pas besoin non plus du point de vue corporel. Vous n’êtes pas un corps, vous êtes un dieu. Vous êtes la divinité absolue. Vous êtes l’idée éternelle qui flamboie dans l’intelligence cosmique. C’est précisément ce que nous devons tous savoir et ce que nous devons tous réaliser avant de quitter cette Terre. Car c’est sur la Terre, sur les planètes, et pas ailleurs, que vous trouverez l’absolu. Si vous ne le trouvez pas dans cette vie, vous serez obligés de revenir jusqu’à ce que vous l’ayez trouvé.

Comment le trouver ? Nous devons évidemment dépasser le plan du corps ; nous ne sommes pas ce corps ; ce corps est passager et il disparaîtra. Nous sommes des êtres éternels, et nous devons dépasser également le plan de la conscience sociale. Au nom de l’amour, on prétend nous enfermer dans une société ; on prétend nous jeter dans l’âme collective ; or, c’est là le « signe de la Bête », l’âme collective, que ce soit l’âme nationale, que ce soit l’âme d’une religion, que ce soit l’âme d’un parti, que ce soit le marxisme, que ce soit le fascisme, que ce soit le catholicisme, que ce soit tout ce que vous voudrez. Lorsque vous perdez votre faculté personnelle pour entrer dans une collectivité, vous avez sur le front, sur le cœur et sur la main le « signe de la Bête ». La Bête, ce n’est pas autre chose que l’âme, l’âme passionnelle et l’âme animale que vous avez en vous. Or, quelle que soit la société à laquelle vous appartenez, cette société n’a pas encore atteint le plan humain. Elle est encore enfermée dans le plan bestial. Il y a, en quelque sorte, dans le cas de Hitler par exemple, dans le cas également de Staline, il y a cette nécessité de rentrer dans quelque chose qui vous dépasse et qui est une société, une collectivité. Or, effectivement, rentrer dans la société, se fondre dans l’être social, c’est participer à la nature bestiale de la collectivité dont vous faites partie, que ce soit une religion, que ce soit une doctrine politique, que ce soit une doctrine nationale. Et c’est le piège qui est naturellement le reflet inversé de la vérité.

La vérité c’est de se fondre, sur le plan supra mental, avec le supra mental divin. Et le supra mental divin contient à la fois votre être, et il contient également tous les autres êtres. Nous dépassons le plan du temps, de l’espace, de la causalité, et de l’identité. Lorsque je rentre dans la divinité, moi ou tout autre, en réalité, mon être physique disparaît, mon être mental disparaît, mon être sentimental disparaît, le moi social disparaît. C’est bien l’anéantissement de mon moi inférieur. Mais le moi supérieur, cette spécificité, cette lucidité, selon les scolastiques, qui fait que je suis différent des autres et qui fait que je suis un être unique qui ne ressemble à aucun autre être, subsiste. Elle devient un avec le grand Un, la grande unité. C’est difficile à comprendre puisque nous sommes dans la dualité. Mais dans la dualité, il y a le relatif et il y a l’absolu. Il y a le bien et le mal. Il y a le fini et l’infini. Dans l’absolu, tout ceci est fondu. Dans l’unité, tout ceci est fondu. Dans la dualité, il y a moi et les autres. Dans l’unité, il n’y a que moi en même temps que les autres. Nous ne pouvons pas dire que nous avons perdu notre personnalité. Au contraire, elle est devenue divine. C’est-à-dire que nous avons pris conscience de notre divinité. Nous avons compris que Lui et moi, nous sommes un. Mais Lui n’a pas tué moi. Nous sommes, Lui et moi, dans l’unité resplendissante et parfaite. Et à ce moment-là, en dehors de toute dualité, je suis, en même temps que moi, tous les autres. II est évident qu’il est très difficile de comprendre cela. Nous pouvons d’ailleurs ne pas le comprendre du tout ; ce sont des mots et ces mots ne font que traduire une réalité qui nous dépasse incommensurablement.

Actuellement, par exemple, je sais que je suis moi, différent des autres. C’est beau. Moi et les autres, nous sommes un. Je sais que je suis là et pas ailleurs ; c’est faux ; je suis partout en même temps. Je sais que j’occupe une portion de temps et que je n’en occupe pas d’autres ; c’est faux ; je suis dans l’éternité au-delà du temps. Il y a, semble-t-il, cette synthèse, en dehors du temps, de l’espace, de la causalité, de la dualité, qui est le propre de l’illumination. Et c’est ce à quoi nous tendons tous. Et c’est à cela que font allusion les versets du Véda qui déclarent : – Tu portes en toi un ami sublime que tu ne connais pas. Dieu vit à l’intérieur de chaque être humain, et il doit prendre conscience du soleil mystérieux qui flamboie dans les ténèbres de son être. C’est en ce sens que nous sommes des dieux.

Il existe le temps physique, le temps astral et le temps mental. Quand tous ces temps seront détruits, l’être merveilleux et ineffable qui est au fond de nous même resplendira dans toute sa puissance et dans tout son rayonnement. Et nous saurons que nous sommes la divinité.

Alors, que nous a apporté Marx ? Car, à la fin des temps correspond la fin d’une civilisation. Il nous a apporté absolument le contraire. Il a déclaré que l’homme n’était pas un être individuel et qu’il était simplement un homo-économicus, c’est-à-dire qu’il était le reflet des grandes forces économiques en action dans le monde, et qu’il ne pouvait, d’ailleurs, se réaliser qu’à travers la lutte, par la guerre des classes, et que la guerre des classes explique le mouvement ascendant, ascensionnel de l’humanité. Tout ceci est un message tronqué, incomplet, obscur et valable, évidemment, pour la fin des temps, mais qui doit être dépassé pour les initiés que nous voulons être.

Il existe également un autre message. C’est le message de Nietzsche, le message de l’amour. Il prétendait que nous ne nous aimons pas assez, que nous ne connaissons pas nos facultés supérieures. Les facultés supérieures qui sont en nous, c’est l’intelligence, le sens de l’amour, de la vérité, de la beauté surtout, et enfin de la puissance. Il a raison. Il a simplement oublié que le mot amour, comme il le concevait, était l’inverse de l’amour. Quand il dit : « Vous ne vous aimez pas assez », il a raison. Mais ce que nous devons aimer, c’est notre moi supérieur et divin. Et nous ne le faisons pas suffisamment. Nous aimons notre corps, et il en a besoin le petit, je ne dis pas le contraire. Nous aimons également notre âme, qui en a aussi besoin. Nous aimons notre mental ; il en a aussi besoin. Mais, celui que nous n’aimons jamais, c’est notre moi supérieur, notre moi divin, notre moi éternel. Nous ne l’aimons pas parce que nous ne le connaissons pas. Nous ne le connaissons pas parce que nous sommes enfermés dans une série de préjugés.

On nous a dit que nous étions un corps, c’est là l’erreur ! On nous a dit que nous étions un subconscient, c’est là l’erreur ! On nous a dit que nous étions une portion de la société, c’est là l’erreur !

Nous sommes des dieux ! Nous sommes en dehors du corps, en dehors de l’inconscient, car nous sommes le supra conscient ! Et nous sommes la liberté absolue, l’unité et la puissance parfaite. 

Nietzsche avait donc raison lorsqu’il disait que nous devons aimer ce qui est supérieur en nous. Mais il avait tort quand il confondait ce point supérieur avec la volonté de puissance. Nous devons aimer en nous la volonté, la sagesse, l’amour, la joie, la beauté, l’infini, l’éternité, l’absolu, le supra conscient. C’est cela que nous devons aimer. Comment faire pour l’aimer ?

Il faudrait envoyer tous les jours des pensées d’amour vers l’être qui est nous, et qui est au-delà et au-dessus de nous. Nous pouvons le faire d’ailleurs d’une manière très simple, par une sorte de méthode : vous imaginez le moi conscient au-dessus de vous sous forme d’un immense soleil blanc qui flotte, à vingt centimètres au-dessus de votre tête. Et ce grand soleil blanc qui est au-dessus de votre tête, vous savez que c’est votre supra conscient, et vous lui envoyez des pensées d’amour. Vous souhaitez qu’il soit heureux, vous souhaitez qu’il soit puissant, vous souhaitez qu’il soit beau, vous souhaitez qu’il soit joyeux, vous souhaitez en fin de compte qu’il vous donne l’illumination pour que cette illumination soit répandue sur tous les êtres. C’est la méthode la plus simple que l’on puisse concevoir.

François Brousse

Conf. « La nature de l’homme » (Extrait), Prades, 18 déc. 1975, dans Philosophies, Clamart, Éd. La Licorne Ailée, 2011, p. 11-16