La philosophie de la connaissance

Elle doit éviter à la fois les sentiers boueux du matérialisme et les nuages de l’illusion dogmatique. Les temps de l’Apocalypse sont venus, de l’Apocalypse de l’esprit. Dans ces vingt dernières années du XXe siècle, les progrès de la science et de la technique, même médicale, passionnent moins les esprits que les profondeurs de la magie et de la métaphysique. C’est la fin du monde, le retour aux croyances du commen­cement.

Tout l’univers est animé, aussi bien les astres que les pierres et les hommes, et l’on peut commander par la volonté, aux forces de la nature. Est‑ce une compensation de la faiblesse humaine devant les puissances du monde matériel ? On veut se rassurer en pensant que l’univers est sensible et bienfaisant, on veut se dignifier en se prenant pour le Créateur tout-puissant. Je pense qu’il s’agit plutôt du souvenir d’un état divin actuellement perdu. Dans ce niveau transcendant, l’outil n’est plus la raison faillible, mais l’intuition infaillible. Les ra­tionalistes refusent habituellement d’examiner le monde occulte, sous prétexte qu’il n’est pas soumis à l’expérimentation. Ils oublient que les mathématiques se meuvent dans l’abstraction et que les sciences d’observation se bornent à constater des faits impossibles à reproduire dans le laboratoire humain.

Un autre chemin que l’intuition et la raison est la route de diamant des analogies. C’est par l’analogie que s’ouvriront les portes gran­dioses du cosmos.

François Brousse (Suite ci-dessous)

La philosophie de la connaissance pourrait se diviser en trois régions :

  • L’enseignement primaire, avec la RAISON
  • L’enseignement secondaire, avec l’ANALOGIE
  • Les hautes écoles, avec l’INTUITION

Le propre de la philosophie de la connaissance est la tolérance. Elle accepte que tous les esprits n’aient pas le même âge mental, et quand un matérialiste la couvre d’insultes, elle pense que cet enfant mal élevé comprendra plus tard. Les empereurs romains ont persécuté les chrétiens, les catholiques, les hérétiques ; les dogmatiques matéria­listes persécutent les spiritualistes. La philosophie de la connais­sance se garde bien de persécuter qui que ce soit. Il existe des intelligences renfermées dans l’obsession du mal, il existe d’autres intelligences diluées dans une vision d’optimisme béat. Les uns se croient en enfer, les autres proclament l’Âge d’or. Les premiers voudraient vous plonger définitivement dans un désespoir absolu, les autres voudraient vous faire croire que le monde actuel est parfaite­ment bon. La philosophie de la connaissance évite ces deux excès, et comprend la dualité fondamentale d’une vie qui évolue à travers l’ombre et la lumière.

Quelles sont les origines de cette manière de penser ?

Cosmos vivant, relations entre le monde et l’homme, puissance magique de la pensée… Tous ces trésors se retrouvent dans la plus ancienne de toutes les civilisations, l’Inde, maîtresse à la fois des rituels sacrés et des métaphysiques transcendantales. De l’Inde, après avoir traversé la Babylonie, la Perse, l’Égypte, la Grèce, Rome, le Moyen Âge et la Renaissance, ce torrent de forces est en train de s’épanouir sous les cieux du XXe siècle. Il a pris des formes différentes :

  • la Gnose, la Cabbale, la Science des nombres,
  • la Science des étoiles, les Arts divinatoires, l’Alchimie,
  • les Médecines de l’invisible, l’Esprit de prophétie, et
  • même la Magie sexuelle.

Commençons par la Gnose : elle prétend atteindre l’Absolu par la connaissance. Elle laisse de côté l’amour qui lui paraît trop senti­mental pour la puissance éternelle et parfaite. On peut l’enfermer dans la phrase de l’Évangile : « Avant qu’Abraham fût, je suis », ou par les affirmations de saint Paul : « Nous sommes les héritiers de la science de Dieu. » Les principaux livres de cette tendance se trouvent essentielle­ment sous la signature de Platon, des néo‑platoniciens, et celle suppo­sée d’Hermès Trismégiste. Dans la Bible, le grand Maître traditionnel de cette école est le sage roi Salomon.

La Cabbale, qui jongle avec les nombres et les lettres, remonte aux Hindous et aux Phéniciens. Elle fut souvent alourdie par l’idée d’une langue sacrée, à l’exclusion de toutes les autres. Pour les rabbins, c’est naturellement l’hébreu, pour certains védantistes, c’est non moins naturellement le sanskrit, pour les adorateurs de la beauté hellénique, c’est bien entendu le grec. Mais Il faut penser que Dieu parle toutes les langues de la Terre, et que la vraie Cabbale est obligatoirement universelle. Les kabbalistes universels devraient prendre comme base, à côté des livres juifs, les révélations hindoues, les dé­voilements grecs et les secrets enfermés dans les grands poètes vision­naires de l’Occident (notamment Dante, Shakespeare, Goethe et Hugo).

Pendant la Renaissance, la science des nombres et des étoiles semble se manifester dans Cornelius Aggripa (1486‑1533). Il appartenait au siècle de Jérôme Cardan, qui féconda l’algèbre, la technique et la philosophie hermétique, par l’union de l’inspiration et de l’observation. La même époque vit s’épanouir Guillaume Postel, qui communiqua avec les morts, et notamment une femme bien‑aimée, la mère Jeanne ; Ulrich de Mayence dont l’Arbor Mirabilis contient les secrets de l’avenir, et Nostradamus dont les Centuries reflètent la vie, la mort et l’éternité.

La philosophie de la connaissance est incluse aussi dans le Temple, le catharisme, la rose‑croix et la franc‑maçonnerie. Le Temple prétendait reconstituer la sagesse tolérante de Salomon, qui faisait la synthèse de toutes les religions et de toutes les théories métaphysiques. Il rêvait de réaliser la paix à l’intérieur de l’être humain, et l’harmo­nie entre tous les peuples. Les cathares, eux, aspiraient à briser la chaîne des réincarnations par l’ascétisme, le renoncement et l’amour. La rose‑croix prétendait faire l’union du sacrifice, « la croix », et de la connaissance absolue, « la Rose ». La Rose était triple : l’amour, la sagesse et la beauté. Enfin, la franc‑maçonnerie soulignait surtout les idées salomoniennes de la fraternité entre les peuples et les races.

Au XVIIIe siècle, Il y eut un clivage : ceux qui tenaient pour le rationalisme humaniste – Voltaire, par exemple –, et ceux qui admet­taient l’inspiration et les arts divinatoires – Cagliostro et Mozart –, sans oublier l’énigmatique comte de Saint‑Germain. Mentionnons aussi le visionnaire Swedenborg, qui admettait la réincarnation, et la décou­vrait dans les pages des livres juifs et chrétiens. Balzac, dans son chef-d’œuvre Séraphita, a immortalisé le souvenir de ce génial théosophe.

Au XIXe siècle, on pénètre dans l’océan des connaissances occultes. Les livres d’Éliphas Lévi découvrent la Haute Magie. Fabre d’Olivet révèle les trois forces qui expliquent l’évolution du genre humain : fatalité, volonté libre et Providence.

Saint‑Yves d’Alveydre révèle l’ésotérisme biblique, dans La Mission des Juifs, et l’ésotérisme hindou, dans La Mission de l’Inde. Les occultistes de 1888, avec Philippe de Lyon, Papus, Sédir, Stanislas de Guaïta, Joséphin Péladan (occultiste rose‑croix), dévoilèrent les se­crets du dédoublement et de la haute extase, mais le plus grand défen­seur de la philosophie de la connaissance fut, à notre avis, Victor Hugo qui réintroduisit dans la pensée occidentale l’idée de la transmigration des âmes, chez les humains, chez les animaux, les plantes, les mi­néraux, et même les objets artificiels. Il donnait ainsi la main, par delà les siècles, aux grands penseurs de l’Inde des origines. Il a éga­lement montré que les transmigrations ne s’effectuent pas seulement sur la planète Terre, mais qu’il existe des milliards de mondes habités dans l’infini, et que les âmes peuvent aller d’une planète à l’autre (voir notamment « Ce que dit la bouche d’ombre » dans Les Contempla­tions).

René Guénon vint par la suite, exalta la tradition au détriment, il faut le dire, de la révélation permanente. Quelques grands noms actuels semblent émerger, notamment celui d’Abellio, qui approfondit la tradition hermétique, surtout dans La Structure de l’Absolu (1). On peut re­procher aux deux, René Guénon et Abellio, un manque d’amour qui risque d’aboutir au désert pierreux, où pas une herbe de vie ne pousse vers le ciel. Néanmoins, leur recherche sincère permet de les classer dans les défenseurs de la philosophie de la connaissance. En regardant du côté de l’Inde, nous voyons surgir un géant mondial, Aurobindo Ghose qui, dans sa Vie divine a jeté de sublimes lueurs, aussi bien dans le monde occulte que dans l’expérience spirituelle.

Pour nous, la philosophie de la connaissance tient compte de tous les phénomènes parapsychologiques découverts enfin par la science contem­poraine et aussi les idées d’infini, de perfection, d’éternité, qui sont innées dans l’esprit humain. Voilà pourquoi elle permet de ré­pondre mieux que n’importe quel autre mouvement à la triple question :

QUI SOMMES‑NOUS ?

D’OÙ VENONS‑NOUS ?

OÙ ALLONS‑NOUS ?

Les penseurs occultes démontrent que nous sommes des esprits divins enfermés dans des corps terrestres. Certains d’entre nous viennent du subconscient universel ; de la possibilité primordiale nous avons tra­versé les minéraux, les végétaux, les animaux, pour atteindre le règne humain, sphère de la liberté, et de ce règne humain, nous montons vers des niveaux de conscience de plus en plus élevés, jusqu’au moment où nous serons des fragments de Dieu dans le Royaume des idées, selon la tradition occidentale, ou le Nirvana, selon la tradition de l’Orient, doré par le Soleil.

Certains autres humains ont effectué le chemin inverse : ce sont des entités déchues, des anges tombés. Ils viennent des sphères supérieures, et se retrouvent dans le laboratoire humain, où ils peuvent reconquérir par leur libre arbitre, la dignité perdue, ou au contraire, rétrograder jusque dans le monde animal.

Comme de toute façon, l’homme est la « gare de triage » des étoiles, ils remonteront vers la perfection, jusqu’au moment où ils deviendront, eux aussi, des divinités infaillibles, jouissant de la connaissance totale, de la compassion illimitée, de la beauté transcendante, et de la suprême béatitude.

(1) – ABELLIO Raymond (1907-1986), La Structure absolue, essai de phénoménologie génétique, Paris, Éd. Gallimard, 1965

François Brousse
« La philosophie de la connaissance » dans Revue BMP N°4, sept. 1983