La semaine du Roussillon – 20 octobre 2005

Des hommes et le roussillon

François Brousse (1913-1995)

Poète, penseur et philosophe

On dit de lui qu’il est « l’homme aux cents visages » tant sont vastes les domaines dans lesquels il s’est aventuré et imposé. À la fois poète, philosophe, penseur, romancier, historien, journaliste, astronome, métaphysicien, idéaliste, il fut parfois occulté, traité d’illuminé mais son œuvre ne peut laisser indifférent tout esprit ouvert de notre temps.

Jean RIFA

Une biographie de plus de 600 pages sur François Brousse devrait être mise en distribution dès ce mois d’octobre, lors des deux journées « Hommage à François Brousse », les 25 et 26 octobre au Centro Español de Perpignan. Ces journées, organisées par La Compagnie de l’Étoile, permettront au public, à travers une exposition, des conférences, des projections, des tables rondes, de mieux connaître l’œuvre immense et diversifiée de celui qu’on a dénommé « Le Sage de Perpignan » ou encore « L’Enlumineur des Mondes ». 

Force est de constater que le personnage est hors cadre, difficilement accessible au commun des lecteurs dans ses activités liées par exemple à l’astronomie ou la métaphysique. D’ailleurs ne dit-il pas lui-même, avec un brin d’ironie : « Je n’espère pas être compris, sauf d’une super élite ! » Revenons sur ce parcours peu commun. Quelques éléments partiels de cette biographie, dont l’auteur est Jean-Pierre Wenger, président de La Compagnie de l’Étoile – avec la collaboration de Thomas Harlay – ont été mis à notre disposition.

Un très jeune poète

François Brousse naît à Perpignan le 7 mai 1913 au 2 de la Route d’Elne. Son père est militaire de carrière et semble n’avoir aucun lien de parenté avec les Brousse connus des Perpignanais pour leur implication dans la presse locale, la politique ou l’hôtellerie. Il fait ses études au Collège-Lycée de Perpignan et, dès l’âge de dix ans, il écrit son premier poème. Cette passion ne le quittera plus. Avec son camarade lycéen René Argelliès – qui deviendra plus tard Ie Dr Argelliès, maire-adjoint de Perpignan et conseiller général – il crée un journal « Le Potache Reporter » qui ne vivra que quelques mois. François se fait cependant remarquer par ses étonnantes connaissances en littérature et sa faculté à s’évader en rêves. « II est souvent dans les nuages » dit de lui René Argelliès. 

Au cours de ses deux dernières années au Collège-Lycée (1930-1932) il écrit une série de trente-cinq poèmes sous le titre Les Dieux. Sur son Bloc-mémo qui ne le quitte jamais, il jette ses pensées, au jour le jour, parfois empreintes de nostalgie, peu communes pour un adolescent de dix-sept ans : « En revenant, ce soir, du collège je passai non loin du cimetière dont je voyais les maisons froides et rigides pleurer à l’ombre des cyprès. Au loin, un cyprès laissait pendre tristement sa cime cassée par quelque vent, tandis que sur l’écran vert des arbres sombres, se déroulait mélancoliquement une fumée vague, blanche et bleuâtre. La tristesse qui s’exhalait de ce tableau m’a frappé » (22 déc. l930).

Enseignant et philosophe actif

Ses baccalauréats en poche, il passe sa licence de philosophie à l’Université de Montpellier puis entre dans l’enseignement d’abord comme Maître d’Internat. Appelé entre-temps pour le service militaire, il est réformé après quelques mois pour, semble-t-il, la grande faiblesse de sa vue. Il sera professeur de français et de philosophie dans les classes terminales scientifiques, dans de nombreux collèges du Midi, au lycée de jeunes filles de Perpignan, au lycée Arago où il reçoit de ses élèves le surnom de « Babylas » et à Prades. 

Les années 50 le voient adhérer au mouvement mondial « Citoyens du Monde » fondé par l’aviateur américain Gary Davis, pris de remords pour avoir atteint des civils lors de bombardements pendant la Seconde Guerre mondiale. Animé par Eugène Schmidt et Cyprien Lloansi, un comité Citoyens du Monde s’est constitué en Roussillon. Brousse y développe ses idées hugoliennes et avant-gardistes sur les États-Unis d’Europe. En automne 1951, il donne sa première conférence à Perpignan sur les grandes découvertes astronomiques.

C’est en 1952 qu’il adhère à l’Association France-Inde, prônant la pratique du yoga et sa doctrine philosophique dont le délégué à Perpignan est l’herboriste du N° 14 de la rue de la Fusterie, Claude Van Dyck. Cette même année voit l’émergence du Comité Victor Hugo qui se réunit dans le vestibule de la salle des mariages de la mairie de Perpignan et qui comprend, entre autres, le biologiste René Espeut, le sculpteur Gustave Violet, Charles-Henry Reymont, Eugène Schmidt, Cyprien LIoansi, les professeurs Marthe Cormary, Antoinette Claux, la directrice du Collège de jeunes filles Mme Meyerson, Claude Van Dyck et François Brousse. 

De 1952 à 1954, François Brousse est critique d’art dans L’Indépendant, le Midi-Libre, les revues Madeloc, Tramontane, Destins. La revue Conflent publie quelques-uns de ses poèmes. Menant de multiples activités de front, il ne cesse cependant jamais d’écrire et de proposer des conférences. Dans les années 80, on le trouve aussi, l’après-midi, à la terrasse du self-service de la Loge, à Perpignan, entouré d’étudiants et discourant avec eux des grands secrets de la pensée et de la symbolique.

En 1982, le Cours d’Art Dramatique du Conservatoire de Perpignan, dont le professeur est Josy Llop, présente un spectacle original à partir des œuvres de François Brousse. Un montage poétique faisant appel à la danse, à l’expression corporelle, à la musique et aux lumières qui est présenté au Théâtre Municipal le 12 janvier 1982. Sa dernière intervention publique à Perpignan se fait au Palais des Congrès, en 1994, au cours d’un débat animé par Bernard-Henri Lévy. « Le vieux sage, l’un des rares qui releva le gant, le fit, en dépit de la maladie qui l’éprouvait, avec la même conviction éblouie. Toute hugolienne », souligne Jacques Quéralt dans la chronique nécrologique de François Brousse, décédé à Paris le 25 octobre 1995 à l’âge de 82 ans (L’Indépendant du 2 nov. 1995). Quelques jours plus tard, ses cendres sont déposées dans le caveau familial du cimetière de l’Ouest, à Perpignan.

 

Aspects de sa personnalité

Le 1er juin 1968, en pleine révolte des étudiants, L’Indépendant publie son billet « Le réveil de l’individualisme » qui lui vaudra quelques déboires avec l’Ordre National des Médecins à propos duquel il écrit : « (.. .) Un grand vent purificateur emportera les féodalités économiques ou professionnelles. Je pense notamment à l’Ordre National des Médecins, résidu de l’occupation nazie, ordre dont la dictature s’étend sur tous les praticiens, les empêche de soigner librement leurs malades, et bride l’essor des recherches indépendantes (…) »

Le 5 janvier 1969, interrogé par la journaliste Aryane Lecomte, toujours dans L’Indépendant et au sujet de son livre Les secrets kabbalistiques de la Bible :

  • (…) A. L : Pardonnez-moi d’insister. Mais si, tout simplement, Dieu n’existait pas ?

François Brousse réfléchit une minute. Puis il répond textuellement ce qui suit.

  • L’existence de Dieu rencontre certaines difficultés, c’est exact. Mais remplacer Dieu par le néant ou la matière éternelle, nous met dans un abîme de contradictions et d’absurdités aux dimensions monstrueuses.
  • Comment cela ?
  • Remplacez Dieu par le néant. Vous supposez donc que l’être, le tout, est sorti du néant, le rien. Par l’opération du Saint-Esprit, sans doute, mais dans laquelle il n’y a plus la moindre trace d’esprit, saint ou non. Cette théorie accumule plus de miracles que tous les prodiges invoqués par les religions, depuis le totémisme jusqu’au mormonisme. C’est le summum de l’incohérence (…).
  • Alors, dis-je pour terminer le débat, vous croyez en Dieu ?

François Brousse haussa les épaules.

  • Il ne s’agit pas de croyance. Une foi aveugle renferme les racines de l’erreur et de la douleur. Je crois en Dieu parce que c’est la seule hypothèse logique. Je crois en Dieu parce que la raison, pure et sévère, m’oblige à y croire.