Mercure, le gamin du ciel, est-il habité ?
Article de François Brousse
Journal inconnu, date inconnue
Nous avons, il y a deux semaines, présenté, d’après l’étude de François Brousse, Mercure et l’atmosphère qui est censée l’entourer.
Aujourd’hui François Brousse poursuit son étude et évoque les habitants qui pourraient vivre dans cette atmosphère. Il les évoque, d’ailleurs, en poète.
Les Égyptiens donnaient à Mercure deux nom : Horus, le dieu du ciel resplendissant, et Set, le dieu des ténèbres. Le premier convient à sa face éclairée, le second à sa face obscure.
Les Égyptiens connaissaient-ils le secret de Mercure ?
Quels vivants allons-nous placer dans ce globe aux infinis contrastes ?
Fontenelle y voyait une race d’hommes éveillés, actifs, mais irresponsables comme les enfants et les fous. Effet d’un trop vif ensoleillement ! Notre grave savant exagérait d’ailleurs la chaleur de Mercure où, d’après lui, les fleuves sont d’or et d’argent en fusion. Erreur flagrante puisque l’or fond à 1 065 degrés et l’argent à 1 000, températures fort au-dessus du climat mercurien. Abandonnons les fleuves d’or en fusion et les cerveaux brûlés de Fontenelle.
Plus curieux encore l’auteur inconnu qui, en 1750, fit paraître son Voyage de Mercure.
Les Mercuriens, d’une taille enfantine, possèdent des ailes dont ils se servent avec une merveilleuse agilité. Leur délicate beauté ne se fane qu’après plusieurs siècles. Ils sont maîtres de tous les mouvements de leur organisme, si bien qu’ils règlent à volonté la circulation du sang et changent de visage suivant leur caprice. Dans les montagnes de Mercure croissent des mets délicieux que des espèces d’aigles intelligents et domestiques vont chercher sur un signe. Les Mercuriens ont réalisé l’unité planétaire. Sur l’empire universel règnent des souverains venus du Soleil. L’arrivée du premier empereur s’environna de miracles, rapportés par la tradition. Dans un nuage éclatant, une ville descendit des cieux et se fixa au centre du continent. Les empereurs gouvernent un siècle, puis retournent au Soleil, laissant sur Mercure leur corps incorruptible. Ces corps gardent tout leur éclat, sont conservés dans une galerie sacrée.
Ajoutons, comme cadre, un paradis de montagnes couvertes d’arbres aux fleurs éternelles et nous aurons la vision d’une planète heureuse où l’on aimerait jouir voluptueusement de la vie. Ce Mercure imaginé par un poète anonyme du XVIIIe siècle ne manque pas de charmes. Colette et Georges Tiret, dans Le Monde invisible vous parle (1954), décrivent Mercure comme une harmonie verte et blanche, baignée de lumière bleue. L’intérieur du globe contiendrait des nappes d’eau superposées qui vont sourdre en sources sulfureuses. Des lichens vert-jaunâtre couvrent cette planète splendide et souveraine, où des esprits viennent par intervalles savourer l’immobile beauté des horizons.
Beau tableau, mais entaché d’erreurs. En effet, les auteurs nous disent : « Point de montagnes ni de volcans. » Or Mercure possède des montagnes fort hautes et, probablement aussi, des volcans. On nous dit encore que Mercure ne présente pas toujours la même face au Soleil, alors que les travaux de Schiaparelli et de ses successeurs démontrent le contraire.
Essayons maintenant de voir avec clarté l’apparence des habitants de Mercure.
Partons de ce principe net : toutes les planètes sont ou furent ou seront habitées par une race intelligente. L’homme ne végète pas, moisissure, sur la face du seul globe terrestre, mais s’étend, puissance cosmique, à travers l’infini. Sous le souffle de la vie universelle, l’entité humaine s’épanouit en formes innombrables : hommes-pierres, hommes-nuages, hommes-feux, hommes-plantes, hommes-poissons, hommes-batraciens, hommes-reptiles, hommes-oiseaux, hommes-insectes. Toujours on rencontre, à un moment donné de l’évolution planétaire, l’être prédestiné, le pont entre le visible et l’invisible, le trait d’union entre la bête et l’ange : l’homme. Il remplit de ses visages divers la totalité des globes.
D’autre part, je considère Mercure, Vénus, la Terre et Mars comme des frères, nés d’une « même ventrée », pour citer Ronsard. Ils jaillirent d’une seule immense révolution atomique, d’un puissant jet solaire. Les autres planètes appartiennent à des enfantements différents. Ainsi, comme le croyaient les Chaldéens, la création se fit en plusieurs jours démesurés.
Les quatre frères planétaires, jaillis d’une même expansion solaire, possèdent à peu près le même âge, l’âge de la Terre, cinq milliards d’années environ, et des matériaux identiques aux nôtres, avec une cellule vivante à base de carbone. De fait, le gaz carbonique abonde dans l’atmosphère de Vénus ; et sur Mars la science officielle discerne des traces de vie analogues aux lichens. Par contre, l’observation de Mercure se hérisse de tant de difficultés qu’on ne sait encore rien de précis sur cette énigmatique planète. Mais « l’esprit voit mieux que la lunette », comme dit Victor Hugo.
L’évolution de la vie sur les mondes ne se déroule pas avec la même rapidité. Je la fais dépendre et du volume de la planète (qui détermine la grandeur des organismes) et de la vitesse de translation (qui marque la durée des années). Si nous appliquons cette théorie à Mercure, nous constatons en ce monde une évolution vivante prodigieusement accélérée. Mercure vingt fois plus petit que la Terre, avec une année quatre fois moindre, marcherait donc sur la route du progrès d’un pas quatre-vingts fois plus précipité que le nôtre.
La vie, cette merveilleuse fleur, a dû éclore au bout de cinquante millions d’années, quand Mercure tournait encore sur son axe et possédait une atmosphère profonde. Puis, cinquante millions d’années plus tard, à la suite d’une évolution prodigieuse, elle donna son fruit : l’homme mercurien. Sur la Terre, l’homme prolonge simplement les mammifères, dont il est la couronne éclatante. Mais sur Mercure la vie a pu suivre un chemin différent, par exemple la grouillante vie des insectes. J’imagine volontiers l’humanité mercurienne comme une race de super-abeilles au crâne prodigieux. Seul l’organisme des insectes possède suffisamment de ressources pour s’adapter aux conditions draconiennes de Mercure. Encore faut-il des insectes spécialement moulés à ce monde déconcertant. Les hommes-abeilles de Mercure (en admettant qu’ils existent) sont probablement une nouvelle humanité, l’ancienne ayant disparu avec l’atmosphère primitive. Ils logent soit dans les cavernes de leur planète, soit dans les montagnes creusées comme des ruches. Ils ont établi la paix universelle, que la Terre vainement cherche encore de nos jours.
Peut-être vivent-ils simplement dans la zone de libration [libération ???], vaste comme la superficie de l’Inde ? Peut-être les changements de distance par rapport au Soleil les contraignent-ils à d’immenses migrations saisonnières ? L’imagination peut plonger dans ce monde inconnu.
Leurs astronomes, s’ils se hasardent sur la face nocturne de Mercure, contemplent un spectacle d’une invraisemblable beauté. Dans l’atmosphère subtile des millions d’étoiles brillent comme de gros diamants. La Voie lactée, à peine visible à nos yeux, est pour les yeux mercuriens, une resplendissante coulée de flammes. Vénus rutile en brasier d’incandescence. Quant à la Terre, étoile du Zodiaque, elle rayonne d’un éclat merveilleux et s’accompagne d’un point vif de lumière, la Lune, tantôt à droite, tantôt à gauche. Aussi le peuple appelle-t-il notre globe « l’astre double ».
Mais les Mercuriens savent que les habitants de la Terre sont encore loin de posséder la sagesse et l’harmonie.
François Brousse