Platon

428 / 427 av. J.-C. – 348 / 347 av. J.-C. à Athènes

Platon et le christianisme

Platon considère dans l’Être suprême une trinité parfaite : Beauté, Justice, Vérité. Les chrétiens lui empruntèrent la théorie tout en la voilant d’un ténébreux mystère. Le philosophe grec sentait vibrer en lui une âme indestructible vouée à la contemplation des idées éternelles. Comme elles, cette âme indestructible s’appuyait sur l’axe d’une infléchissable personnalité.

Libre, l’âme personnelle est responsable de ses actions et après la porte du tombeau, des châtiments, des récompenses attendent la fille de Dieu. Tout cela est passé dans les magasins chrétiens à l’exception d’un trésor dont je parlerai tout à l’heure.

Les hellénistes admettaient, aussi, entre l’Être suprême et l’humain, l’échelle éclatante des hiérarchies célestes. Platon postulait une nouvelle trinité après Beauté, Justice, Vérité pour expliquer l’ampleur du cosmos et ses relations mutuelles. Entre Dieu, principe de l’immuable et du parfait et la matière, source du changeant et de l’impur, il étendait, comme un pont chatoyant, l’Âme du monde, à la fois immuable et changeante, parfaite et impure. Ainsi se comprend le lien obscur entre l’absolu et le relatif. Cette âme du monde engendre les divinités et les âmes humaines, tourbillons sortis de ses flancs inépuisables…

François Brousse
Revue BMP, N°34 – avril 1986, Clamart, Éd. La Licorne Ailée

EXTRAIT (Suite)

… Plus tard, l’âme du monde platonicienne servit à expliquer les mystères d’Isis sous les Ptolémée, pharaons grecs pénétrés des lueurs de l’Orient.

Les paroles d’Isis sur une stèle du Temple de Ptah, dieu modeleur des vivants, chantent à Memphis la gloire d’une Vierge Mère.

 

Moi, Isis, j’ai séparé le ciel et la terre, montré le chemin aux étoiles. Moi, Isis, je suis victorieuse du Destin. Moi, Isis, je suis tout ce qui fut, tout ce qui est et tout ce qui sera.

Nous voyons nettement la filiation divine, âme du monde, Isis, enfin Marie l’Immaculée.

Le même sang lumineux va de Platon à Jésus en passant par Thimothéos, prêtre d’Eleusis et fondateur d’une synthèse hellénico‑égyptienne. Les réserves idéologiques de Platon nous livrent la trinité, l’immortalité de l’âme, la sainte Vierge, la doctrine des révélations, des rétributions et peines dans l’Au‑delà, mais avec une formidable différence, toute en l’honneur du penseur athénien. Catholiques et protestants condamnent les méchants à des souffrances éternelles dans les flammes infernales. Au contraire, Platon les purifie dans les affres passagères et les fait voyager de corps en corps, jusqu’au jour inévitable des rédemptions.

Les âmes, voyageuses de l’infini, viennent du ciel métaphysique, elles y retournent après un certain nombre d’années. Leurs fautes ne sont jamais irrémissibles. La douleur les lave de leurs souillures. Sous cet angle, le philosophe baigné de lumière devient le père du purgatoire. L’idée que la punition efface la faute et remet l’âme dans la splendeur primitive, constitue un pas décisif dans l’évolution des doctrines, l’impérissable espérance prend son vol vers le paradis.

La morale platonicienne a laissé son empreinte dans la morale chrétienne. Le penseur grec fait de la vertu la ressemblance avec Dieu. L’imitation de Dieu, le Sage, vit les yeux tournés vers Dieu, comme l’artiste contemple son modèle et son âme reflète la perfection divine. Or, que dit Jésus dans l’Évangile : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »

Le Christ répète exactement la haute leçon des philosophies idéalistes qui planent comme l’aigle et brillent comme l’étoile. Même l’obligation de rendre le bien pour le mal se retrouve tel un diamant inaltérable dans les dialogues du Maître :

Car rien, nous dit Platon, ne saurait excuser l’injustice. Que l’autre soit juste ou injuste, il faut pratiquer la justice sans aucune faiblesse. Mieux vaut subir l’injustice que la commettre.

Nous voilà bien près de la merveilleuse douceur évangélique.

Une des plus belles et des plus vraies croyances du christianisme primitif repose sur l’existence des anges. Platon, dans l’Épinomis, en trace déjà la robuste hiérarchie. Il déroule d’un ample mouvement le tissu des dieux, les supérieurs, les inférieurs et les intermédiaires. Les supérieurs habitent la sphère idéale, totalement inaccessible aux faibles humains. Les inférieurs peuplent les éléments de la Terre et apparaissent et disparaissent devant les yeux stupéfaits. Ils envoient des songes aux dormeurs et font voir des apparences fabuleuses. On pense aux gnomes, lutins, farfadets, gobelins, nymphes, fées, nixes des contes qui ont enchanté l’enfance des peuples.

Mais les dieux intermédiaires offrent une curieuse ressemblance avec les anges du catholicisme. Ils portent aux mortels la volonté des immortels ; ils élèvent jusqu’au ciel les prières des terrestres, les oracles, les divinations, les miracles, les prodiges, les initiations tombent en cascades dorées de leurs mains fécondes.

Sans doute, les anges remplissent de leurs vols des pages de l’Ancien Testament. Un ange porte des nourritures à Élie qui voit la montagne pleine de formes de feu. Mais les livres du Nouveau Testament sont écrits en grec. Les rédacteurs de langue et de civilisation helléniques connaissent autant Platon que Moïse. Dans les deux doctrines, les anges peuvent surgir à travers le vitrail bariolé des ombres. C’est une tradition antique remontant aux sources mêmes, à l’aurore des civilisations. Pourquoi ne pas l’admettre ?

Les psychanalystes expliquent tortueusement les apparitions, et si elles provenaient de mondes parallèles ? Si le rêve était le chemin qui monte vers les montagnes d’une réalité ignorée ? L’Ancien Testament résonne de prédictions qui s’appliquent, au moins partiellement, à Jésus­-Christ.

Platon, cet inspiré, serait‑il aussi prophète ? Ses yeux qui ont contemplé, sur terre, les platanes d’Illysus, dans le ciel, la splendeur immuable des idées, ont‑ils percé les murailles de l’avenir ? L’ami Socrate que protégeait un Daïmon a‑t‑il admiré prémonitoirement le visage du Christ ? On le croirait volontiers. En lisant Le Banquet, ce concert de convives aux intelligences aiguës comme des rasoirs et aux paroles pénétrantes comme des lasers, la prêtresse Diotime de Mantinée y fait un portrait humain de l’amour qui n’a plus rien de commun avec le petit Cupidon mignard, aux modelés roses, mais qui rappelle formidablement l’image d’un vagabond appelé Jésus‑Christ. Citons le texte de Diotime, voyante inspirée :

Il est toujours pauvre et il s’en faut de beaucoup qu’il soit délicat et beau comme certains le pensent. Au contraire, il est dur, négligé, va‑nu‑pieds, sans demeure, couchant toujours sur le sol, dépourvu de lit, dormant en plein air sur le pas des portes et sur les chemins. Il a la nature de sa mère. Le dénuement est son compagnon.

D’autre part, il tient de son père. Il est à l’affût de ce qui est bon et beau. Il est courageux, va de l’avant, toutes ses énergies tendues, terrible chasseur qui sent toujours quelques trames, passionné d’intelligence, plein de ressources, pendant toute sa vie.

Amant du savoir et de la sagesse. Un redoutable enchanteur, magicien, philosophe, de plus sa nature n’est ni d’un immortel ni d’un mortel, mais en une même journée, il fleurit et vit. Parfois il meurt, mais il prend vie de nouveau quand il trouve quelques ressources grâce à la nature de son père.

Tableau saisissant où transparaît la double nature de Jésus, mortel par sa mère, immortel et ressuscité par son père. Platon révèle le nom véritable du Messie, il s’appelle Amour, c’est un marginal, pauvre, errant, magicien et penseur, c’est le maître de la Gnose autant que de l’adoration tel que le montrent les Évangiles canoniques et apocryphes. […]

Platon demeure le père illuminé d’un christianisme transcendant.

François Brousse
Revue BMP, N°34 – avril 1986, Clamart, Éd. La Licorne Ailée

 

Théorie des idées

 Clef de voûte de toute philosophie platonicienne.

Dialectique platonicienne : s’élever du particulier au général, du phénomène à l’idée. La première connaissance que nous ayons est la connaissance sensible.

La sensation ne peut pourtant pas constituer la connaissance, car elle ne saisit que l’apparence ou le phénomène.

Elle est essentiellement changeante comme les corps qui la provoquent. Héraclite : on ne descend pas deux fois le même fleuve.

Protagoras : l’homme est la mesure de toutes choses. Les choses ne sont que ce qu’elles paraissent à chacun. Nous n’avons d’autre juge à écouter sur ce qui est ou n’est pas, que notre opinion personnelle.

Platon s’élève avec force contre cette doctrine.

Si la sensation est toute la science, l’animal comme l’homme est la mesure de toute chose.

Il faut donc admettre, ou bien qu’il n’y a pas de science, ou bien que l’objet de la science se trouve ailleurs que dans les choses sensibles.

Socrate avait montré qu’il n’y avait de science que du général, sans définir la nature de la généralisation ni en montrer le principe.

Platon, trouvant qu’il y a contradiction à unir l’un et le multiple, va résolument les séparer.

Selon lui, le principe du général ne se trouve pas dans les choses particulières, qui sont dans un perpétuel changement, mais dans les idées qui sont immuables.

Qu’est-ce que les Idées ?

Ce ne sont pas de simples concepts, au sens où la psychologie entend ordinairement ce mot.

Ce sont des principes objectifs, des types, des réalités intelligibles, des exemplaires des choses qui existent en dehors de notre âme, en dehors des choses elles-mêmes.

Ces idées sont à la fois les principes des choses et les principes des connaissances.

Les Idées sont les types éternels, les lois d’après lesquelles Dieu a conçu et exécuté les êtres en fixant les genres et les espèces.

Tout être n’a de réalité que par sa participation aux idées.

L’homme, par exemple, participe à la bonté, à la beauté, à la vérité ; mais il n’est pas la beauté ni la bonté.

Comment se fait cette participation ?

Platon ne le dit pas.

La science n’est qu’une réminiscence. L’âme se souvient de ce qu’elle a vu dans une vie antérieure, avant d’être tombée dans la prison du corps, alors que faisant partie du cortège des dieux, il lui était donné de connaître directement les essences immuables des choses.

Il y a une justice, une vérité, une beauté absolues, dont les images imparfaites, aperçues dans les choses d’ici-bas, réveillent le céleste souvenir dans les âmes purifiées qui ont passé par les divers degrés de la dialectique.

Ces idées forment un monde idéal où s’établit entre elles une hiérarchie correspondant à la hiérarchie des apparences sensibles que l’on rencontre dans le monde des créatures.

Les idées sont reliées entre elles par d’autres idées d’un ordre plus élevé, ces dernières reliées à leur tour par d’autres plus élevées encore, et ainsi de suite, les idées s’accroissent toujours en généralité et en puissance, jusqu’au faîte, l’Idée dernière, suprême, toute-puissante, le bien, qui embrasse, contient, résume le système tout entier, comme l’univers visible, sa copie, embrasse, contient, résume tous les êtres.

Quels sont les divers degrés que suit l’esprit pour arriver à la connaissance suprême ?

Au plus bas degré, se trouve la sensation, impression faite sur nos sens par les objets extérieurs. Dans la sphère de la vérité lui correspond l’apparence, le non-être.

Au second degré, l’opinion, ou jugement porté par l’esprit avant réflexion. Elle se divise en opinion simple et opinion raisonnée, cette dernière s’approchant de la science sans être la science. Elle relève de la raison discursive et la croyance l’accompagne.

Au troisième degré est la science, vrai savoir, ayant pour objet la vérité des Idées, la raison, l’intelligence. On n’y arrive que lorsque l’esprit débarrassé des notions sensibles et des préjugés de l’opinion simple est parvenu à contempler les essences des choses, les idées. […]

François Brousse
Revue BMP N°265-266-267-268 – avril-mai-juin-juillet 2007, Clamart, Éd. La Licorne Ailée,
« Platon– Notes pour cours de philosophie » 

Pensée

L’homme, englué dans les boues tyranniques, aspire à la royauté des étoiles. Il porte en lui les formes animales et les rayons archangéliques. Pascal a bien vu ce mystère. Il a mis sa puissante main sur ce nœud vital. Mais il se trompe en expliquant le mystère humain par les dogmes du seul christianisme. Toutes les religions expliquent l’énigme. Et parmi les philosophes, Platon, de son œil royal, contemple le vrai séjour des âmes, la sphère des Idées, d’où les âmes, tombées, enfermées dans la cage des corps, ont emporté une nostalgie exaltante.

François Brousse

Revue BMP, N°176-177 – mai-juin 1999, Clamart, Éd. La Licorne Ailée

Libérateurs

Ne craignez pas les philosophes,
Ce ne sont pas de lourds pédants
Cachés sous de roides étoffes ;
Ne craignez pas les philosophes.

Leurs pensées sont d’ardentes strophes
Qui chantent le Vrai transcendant.
Le mystère les apostrophe,
Ils dévorent à pleines dents
L’imprévisible et l’évident.
Ils sont les archers du Grand Sophe,
Roi d’Orient et d’Occident.
Le dehors comme le dedans
Alimentent leurs antistrophes.
Platon, Plotin ou Buridan,
Ils sont pareils à saint Christophe
Qui transporte un feu fécondant.
Lisez les puissants philosophes,
Ces libérateurs transcendants.

28 octobre 1989

François Brousse
La Rosée des constellations, Éd. la Licorne Ailée, Clamart, 1991, p. 147

Autres textes