F.B. : Le conte est rempli de rêves, d’illuminations, d’étrangetés, d’extases, d’effacements et d’évasions. Toute la poésie n’est qu’un conte. Un conte merveilleux qui nous raconte une multitude d’histoires merveilleuses de façon à ce que nous oublions tout ce que la Terre a pour nous de lourd, de terrible et de pénible. Le conte est donc essentiel. Il n’existe peut être pas un seul grand poème dans lequel il n’y ait un conte, histoire merveilleuse faite pour des enfants. Si nous ne conservons pas jusqu’à la fin de notre vie l’innocence et la pureté des enfants, nous n’arriverons jamais à l’Illumination.

Une histoire m’avait beaucoup amusé, elle est, je crois, racontée par Anatole France. Un enfant s’extasiait. Il regardait dans l’herbe une merveille qui cheminait avec toutes les couleurs de l’arc en ciel sur elle. Un passant arrive, entend les cris d’émerveillement de l’enfant, ferme le journal qu’il était en train de lire, regarde et dit : « Bah ! ce n’est qu’un scarabée ! » Or précisément, c’est l’enfant qui avait raison de trouver dans le scarabée quelque chose de merveilleux et d’unique. Il était près de la puissance divine qui, à chaque instant, crée des merveilles, sans marges et sans barrières. L’enfant est l’homme parfaitement réalisé dans le plan du conte. Tant que vous ne resterez pas des enfants vous n’arriverez pas à l’Illumination.

 

Qu’est ce que la poésie a de supérieur à la métaphysique ?

F.B. : Le véritable poète est à la fois prophète et métaphysicien. Il ne peut pas être autre chose. Alors étant philosophe, étant métaphysicien, étant artiste, il n’y a, par conséquent, rien qui s’oppose à ce que la poésie soit la première de toutes les forces, attendu qu’elle contient déjà la métaphysique. Un poète qui n’a pas de métaphysique ne peut pas exister, ce n’est pas un poète. Il sera ce que l’on voudra, mais pas un être transcendant pénétré de poésie.

 

Où est la métaphysique dans la poésie ?

F.B. : Mais partout. Lorsque, par exemple, vous êtes en train de regarder un poème et que ce poème vous donne une notion d’infini, vous touchez immédiatement à la métaphysique ; attendu que le propre de la métaphysique, #e09900c’est l’Infini. S’il vous donne une impression de renaissance vous touchez encore à la métaphysique. La métaphysique contient l’Infini, contient la Renaissance, contient l’Éternité, contient l’Absolu.

Et c’est très exactement ce que contient la poésie. Seulement, au lieu de s’adresser uniquement à l’intelligence, elle s’adresse en même temps à l’intelligence, au cœur et à la transcendance. La poésie est parfaite et ceux qui arrivent à la connaître intensément sont les grands prêtres de l’Éternité ; les autres ne sont que de petits enfants de chœur. C’est pourquoi la poésie et la métaphysique se confondent. Il n’y a jamais opposition entre les grandeurs. Quand vous pensez à Dieu, vous pensez à l’Être éternel, Il l’est ; vous pensez à l’Être infini, Il l’est ; vous pensez à l’Être parfait, Il l’est ; vous pensez à l’Être absolu, Il est tout ceci et en même temps, Il est Dieu. De la même manière, la poésie est toute la métaphysique et toute l’infinité. […]

 

Que pensez vous de la poésie surréaliste ?

F.B. : Elle est admirable en ce sens qu’elle est en dehors du réalisme. Mais le grand maître de la poésie surréaliste est avant tout André Breton. Cependant, il a dépassé et de beaucoup les petitesses du surréalisme. Le surréalisme, cela peut être par exemple : je pose mon pied au milieu d’une flaque d’eau et j’ai immédiatement une sensation. Cette sensation nouvelle, inattendue, ferait partie d’une poésie, d’accord. Mais si je pose mon pied au milieu d’un océan d’astres, j’ai également une autre sensation et cette sensation est peut être bien plus vaste et bien plus profonde. Le surréalisme commence un peu naïvement par le dadaïsme et il finit splendidement par la contemplation des cieux étoilés. Je crois que Breton a commencé effectivement cette évolution, il n’est pas allé jusqu’au bout, mais il n’en était pas très loin. C’est quand même un très grand poète et il aurait pu, je crois, arriver à être le poète essentiel de l’Illimité et de l’Infini.

Revue BMP  N°176-177 – mai-juin 1999
« Entretien avec François Brousse », samedi 23 novembre 1991 , Clamart