Questions sur l’art, la psychologie, la métaphysique…

Questions à François Brousse

Comment un psychologue peut il devenir un métaphysicien ?

F.B. : Il le peut quand il s’aperçoit qu’à l’intérieur de son âme, il y a tous les secrets du cosmos, et, par conséquent, il peut parfaitement comprendre qu’il ne pourra embrasser l’univers que s’il connaît la profondeur même de son âme. Dans son âme infinie, l’univers est enfermé. Sinon il reste dans une banalité ennuyeuse, agaçante, parlant à chaque instant des rapports existant entre lui et les êtres extérieurs et n’ayant pas un seul coup d’aile lui permettant de monter vers l’infini. En somme, un psychologue ne peut devenir métaphysicien que s’il est inspiré par le Verbe infini. Cela peut lui arriver, c’est une aventure qu’il n’a pas cherchée et qui l’attend au coin de la rue. Cette aventure l’emporte plus loin, plus haut et plus profondément qu’il ne l’imaginait.

A partir de quand une psychothérapie est elle imprégnée de métaphysique ?

F.B. : Je dirai qu’on s’aperçoit tout d’abord qu’elle est inutile, pas vraiment inutile mais insuffisante et lorsqu’on l’a compris, on ouvre la porte aux idées métaphysiques. La thérapie n’est jamais qu’une manière, souvent très belle, de s’évader de soi, mais non de sa profondeur, soi même. Quand on comprend que l’évasion de soi n’est qu’un commencement et qu’au delà de l’évasion, il y a l’embrassement de l’infini, à ce moment-là, on quitte la thérapie pour rechercher l’illumination. Mais curieusement, il faut attendre habituellement environ sept ans avant de s’apercevoir que la thérapie ne suffit pas. Au bout de sept ans, elle laisse un goût amer. Il y a quelque chose que l’on n’arrive pas à toucher, et, c’est à ce moment là que se déploient les ailes de la métaphysique. C’est très difficile parce que cela peut même durer plus longtemps. Des êtres peuvent suivre des thérapies pendant une vingtaine d’années, par exemple. Mais au-delà de la thérapie, il y a inévitablement l’envol vers l’infini. Cela n’est pas inutile. Cela nous permet d’approfondir graduellement notre être et de gravir les niveaux successifs de notre esprit.

Est-il possible de faire en même temps thérapie et métaphysique ?

F.B. : Oui, tout à fait, mais tôt ou tard, ce sera la métaphysique qui l’emportera. Mais enfin la thérapie est extrêmement intéressante. Presque toutes les thérapies ont des résultats remarquables.

La recherche de l’âme peut-elle être entravée par des obstacles psychologiques ?

Si on croit que la psychologie seule peut nous faire atteindre l’infini, alors évidemment, c’est un obstacle. Mais si on la considère comme une préparation lente, une série d’escaliers qui montent graduellement vers les cieux, ce peut être une aide précieuse qui va permettre à l’âme d’ouvrir toutes ses ailes, elle en a trois cent milliards.

Que pensez vous de Louis Pauwels ?

F.B. : Il y a une chose qui m’a profondément déçu. Au début, il était magnifique, mais maintenant, mon impression personnelle est qu’il s’est englouti dans les marais du passé. Il est terriblement enfermé dans une religion particulière, il est également enfermé dans des doctrines plus ou moins politiques très inférieures, ou tout au moins étroites. C’est inquiétant, parce qu’au début, il paraissait génial. Maintenant, on a l’impression d’un aigle enfermé dans une cage terriblement étroite. Nous espérons qu’il en sortira, mais cela nous fait réfléchir, hélas, à quelque chose d’inquiétant : la fin des grands hommes. Peut-être sont ils beaucoup moins grands à la fin qu’au commencement, et il faut attendre le développement intégral de leur épopée pour porter un jugement sur eux. Pauwels est, pour moi, une grande espérance déçue. Peut-être se relèvera t-il et ira t-il plus loin ? Mais pour l’instant, il me paraît arrêté dans un bourbier.

Comme disait Hugo :

“Qui, tourne autour d’un monde, arrive aux antipodes”

A force de réfléchir sur une même idée, on finit par trouver le contraire de cette idée. C’est ainsi que le monde avance, surtout actuellement où nous sommes à la fin du Kali Yuga et, par conséquent, toutes les incohérences et tous les paradoxes peuvent brusquement jaillir.

Les complexes psychologiques, les noeuds psychologiques sont-ils le reflet de lois métaphysiques ?

D’abord, il y a la loi métaphysique qui domine tout. Puis, si l’on n’arrive pas à comprendre cette loi, on finit par avoir la peur, la crainte, la rancune, la rancoeur, toute une série de barreaux qui rétrécissent de plus en plus la cage dans laquelle nous évoluons. Il faut, je crois, arriver au-delà de tous ces complexes qui sont, essentiellement, l’impossibilité de parvenir à la coïncidence entre nous et notre moi divin. Lorsque nous y parviendrons, tout s’effacera. Il faut supprimer le doute, la peur et la haine. Or, je crois qu’on peut arriver à supprimer le doute, ainsi que la haine, quand on connaît la loi qui permet d’envoyer des pensées d’amour après avoir eu des élans de haine.

Quant à la peur, il faut complètement supprimer la peur de la mort, la peur de l’erreur, la peur de la peur, et aboutir à une confiance absolue en la divinité. A ce moment là, tout s’évanouit. Supprimez le doute, la peur et la haine et vous êtes sûr d’abolir tous les complexes possibles et imaginables. C’est difficile, et très simple à la fois, il suffit d’y croire avec suffisamment d’ardeur pour être immédiatement libéré. Croyez que vous êtes Dieu. Si vous savez que vous êtes Dieu, tout sera immédiatement transformé.

Quels sont les rapports entre l’art et la métaphysique ?

F.B. : L’art est le chemin le plus direct pour aller à la métaphysique. On a parlé d’ascèse et de méditation comme autres chemins, oui ! En réalité, c’est par la puissance créatrice de l’art quel qu’il soit, que l’on arrive à l’illumination. C’est le chemin le plus agréable et le plus sûr. Vous voulez créer dans n’importe quel art : immédiatement, vous sentez une flamme s’allumer au fond de votre coeur et cette flamme vous indique que vous êtes sur le chemin de l’impossible et du réel. Vous arriverez toujours par l’art, quel qu’il soit, à l’illumination. C’est le plus court chemin pour atteindre l’éternité, et le plus sûr. Hugo a atteint l’illumination ainsi que Bach. Les grands poètes, les grands musiciens, les grands artistes, les grands architectes, tous doivent atteindre l’illumination. Même les danseurs, car la danse est une merveilleuse manière d’aboutir à la connaissance intégrale par la recherche intrépide de la beauté.

Dieu est à la fois la beauté infinie et l’amour infini. Quand on a la beauté, on a l’amour. Il est impossible, quand on aime, de ne pas connaître la Beauté suprême, et à ce moment là, on est libéré. C’est le chemin le plus merveilleux et le plus simple d’atteindre à l’illumination. On vous dit habituellement qu’il faut traverser des ronces, des horreurs, des tristesses, des souffrances. Pas du tout ! Il faut simplement avoir la joie de créer et consacrer cette joie à la divinité. On sait très bien que c’est Dieu qui parle en nous et qui crée en nous. Nous ne pouvons rien faire sinon nous ouvrir au baiser divin et par la puissance créatrice de l’art et par la puissance de la concentration mentale, nous arriverons à la libération.

Que se passe t il pour celui qui contemple l’oeuvre de l’artiste ?

F.B. : Celui qui contemple l’oeuvre d’un grand artiste finit par devenir lui même un grand artiste. Qui peut comprendre Homère si ce n’est Homère ? Quand on contemple l’oeuvre d’un artiste suprême, immédiatement, on se confond avec lui. On devient un avec lui et on atteint, comme lui, les sphères les plus hautes de l’éternité. Il suffit de se confondre avec l’être prodigieux qui a créé une nouvelle façon de comprendre l’éternité.

Existe t il un art supérieur ?

F.B. : Tous les arts sont supérieurs, mais en ce qui me concerne, je préfère la poésie à tous les autres. La musique fait intervenir l’inconscient et le supra conscient, elle ignore le conscient. La danse peut faire intervenir aussi l’inconscient mais jamais le conscient. Tandis que tout existe dans la poésie : le conscient, l’inconscient et le supra conscient. C’est l’art définitif par excellence. Hugo a déclaré :

« Craignant d’être emporté sur de trop rudes faites,
Les poètes ont peur de devenir prophètes. »

Et, si l’on contemple quelqu’un, on finit par être ce quelqu’un. Le contemplateur et le contemplé deviennent un. C’est une excellente manière d’arriver à l’éternité.

Pourquoi tous les grands maîtres ne font ils pas comme Saint Germain, c’est-à-dire se matérialiser ?

F.B. : En réalité, tous les grands maîtres le font. A certains moments, ils apparaissent, même Jésus. Dans un évangile inconnu, il est dit que Jésus descend de l’infini sur la Terre, ce qui veut dire qu’il s’est réellement matérialisé. Tous les maîtres peuvent se matérialiser, c’est ce qu’on appelle les tulkous. Un maître complètement réalisé, peut être en même temps ici et ailleurs, dans l’Himalaya, en Chine, et, aussi, dans toutes les planètes à la fois. Il a une possibilité infinie de création. A travers les mondes, il est là, il est à la fois un et multiple, comme Dieu. Tous les maîtres sont capables de se matérialiser et d’apparaître même après leur mort. Vous vous rappelez le cas de Yukteswar dans le livre Autobiographie d’un yogi. Yogananda dit voir son maître, il le voit totalement, il l’embrasse, il le touche et pourtant il est mort. Quand on atteint un degré fondamental d’essence divine, on peut apparaître n’importe où. Peut-être que certains préfèrent tranquillement inspirer leurs disciples par télépathie, ce qui est d’ailleurs une sorte d’adombrement supérieur. En même temps, ils ont une multitude de reflets télépathiques à travers tous les mondes. C’est également une attitude, et, dans ce domaine-là, toutes les attitudes sont permises. Tous les maîtres ont des tulkous.

François Brousse

« Entretien avec François Brousse », Clamart, 25 avril 1992, dans Revue BMP N°158 & 159 – octobre & novembre 1997