Simon-Pierre et Simon le Mage

Pierre subit une fin bizarre. Il partit à Babylone où il initia un autre personnage qui s’appelait Simon, qui prit le nom initiatique de Pierre et qui n’était plus lui, mais son fils spirituel. Le véritable Pierre monta sur une tour, la même ziggourat où jadis il était né une première fois et qui subsistait encore après 10 00 ans. Il avait l’habitude de monter à la cime de cette tour presque tous les jours pour méditer devant le soleil levant. Il se mit en méditation et mourut en pleine extase.

Il eut comme successeur le second Pierre venu pour répandre la religion catholique. Il essaya de la répandre jusque dans Rome où il fut convoqué devant Néron avec Simon le Magicien qui prétendait être l’incarnation de la grande vertu divine. Jésus était mort à ce moment‑là. Une querelle fameuse s’éleva entre Simon‑Pierre et Simon le Magicien. Les écrivains ecclésiastiques rapportent cette lutte célèbre. Elle ne tourna pas entièrement à la gloire de Pierre. […]

François Brousse (Suite ci-dessous)

Suite

[…] Il y eut une série de magies, sans doute des phénomènes d’hypnose (si tant est qu’ils aient existé et ne soient pas simplement d’obscurs symboles !) Toujours est‑il que l’on commença par deux chiens, celui de Simon le Mage et celui de Simon Pierre. C’est normal, car l’un et l’autre représentaient une partie de la puissance de Rome. Nous pouvons le revoir dans les armoiries de la ville représentée par la louve qui domine l’histoire physique de Rome et l’histoire métaphysique de la religion catholique.

Lorsque les deux antagonistes arrivèrent devant Néron, l’enjeu était immense. Il s’agissait de savoir si le monde romain serait conquis au christianisme.

Simon le Mage prêchait sa propre religion, une théologie magnifique : il devait revenir tous les trois siècles pour apporter aux hommes une série de vérités divines. Chaque fois, il surgissait avec sa parèdre, Hélène, femme prodigieuse qui fut d’abord Hélène de Troie et qu’il avait retrouvée dans un bouge de Tyr. Il reconnut en elle la suprême vertu divine. Il l’épousa et, dans cette union de deux surhumanités, Simon le Magicien et Hélène de Tyr, se produisait une effusion de puissance astrale qui se répandait sur l’ampleur de la Terre. En recréant l’Androgyne, ils retransformèrent l’image intérieure du globe et son âme profonde. Cette cérémonie magique devait recommencer tous les trois siècles. De plus, il admettait que les âmes des amants se réincarnaient en même temps dans des périodes allant de un à trois cents ans. En fin de compte, au bout d’une dizaine d’incarnations, Simon le Mage absorberait en lui les âmes de tous ses admirateurs. Ils s’envoleraient tous dans le Plérôme, ou le Ciel de suprême divinité, et atteindraient ainsi la plus grande hauteur où l’homme puisse parvenir. Là, ils goûteraient l’amour, la puissance, la sagesse, la beauté, et ils resteraient dans ce paradis pour l’éternité. Cette période déployait une gloire extrêmement belle.

En face, la théorie de Pierre admettait en secret, et jamais en apparence, l’existence de la réincarnation. Mais, superficiellement, il affirmait que nous avions une seule vie et que cette vie unique débouchait soit sur le paradis, soit sur l’enfer. Si l’homme se laissait dominer par les forces inférieures, il se dédiait à l’immortalité, oui, mais à une immortalité douloureuse. S’il se laissait guider par les forces du bien, il arrivait à conquérir l’immortalité bienheureuse. Le fait de dire aux êtres humains qu’ils arriveront graduellement à l’illumination, à travers une série d’incarnations, c’était, selon Pierre, un excellent moyen de les endormir. Car, sachant qu’ils parviendraient inévitablement, ils ne feraient aucun effort. Tandis que, si par un pieux mensonge, on les persuade qu’ils n’ont qu’une vie, ils feront des efforts démesurés et, de cette manière, leur évolution s’accélérera. Pierre voulait donc les réveiller par une doctrine brutale, un coup de gong mensonger et salvateur. Je lui laisse la responsabilité de cette méthode. Nous pensons au contraire qu’il faut toujours dire la vérité sur le plan métaphysique et, qu’à ce moment‑là, nous aiderons comme une flamme vivante la flamme vivante qui est dans tous les êtres humains.

Il y eut donc contestation entre les deux mages. Ils se battirent à coup de miracles. D’abord, ils exposèrent leur théorie devant Néron qui, ne l’oublions pas, avait une certaine connaissance transcendante, ayant été l’élève du philosophe Sénèque, grand maître qui possédait pratiquement tous les principes de la théosophie universelle. Sénèque mourut d’ailleurs, condamné par Néron, à s’ouvrir les veines dans son bain. Il mourut avec sérénité et si je ne me trompe, en lisant Platon. Quoiqu’il en soit, Sénèque est mort magnifiquement.

Néron hésitait entre trois théories. Première théorie se faire Dieu, lui, Néron, déclarer qu’il était totalement dieu et totalement homme et demander qu’on lui érige des autels et des statues. Deuxième théorie : la divinité de Jésus telle que la lui avait exposée Pierre. Cela se traduisait par le fait qu’en adorant Jésus, on pouvait atteindre l’illumination en une seule vie. Troisième théorie : la doctrine des réincarnations suivant laquelle les âmes transmigrent à travers des corps différents jusqu’au moment de leur libération parfaite et, lui, Simon le Mage, apportait la clé de cette libération. Néron croyait bien, en son for intérieur, qu’il était lui le dieu véritable, mais il s’amusait à laisser les deux combattants de l’esprit lutter l’un contre l’autre. Il leur demanda une série de miracles et les miracles se réalisèrent.

Le chien de Simon‑Pierre marcha vers Simon le Mage, s’inclina puis se prosterna humblement devant l’empereur et le salua en latin. Ce n’est pas mal. Le chien de Simon, au contraire, salua Pierre en grec et se prosterna devant l’empereur qu’il salua en grec. Or, Néron avait des prétentions littéraires. Il voulait d’ailleurs, vers la fin de sa vie, se retirer en Grèce et vivre comme un citoyen, simplement, au milieu d’une villa somptueuse. Ce n était qu’un rêve, mais il était trop cruel et trop ambitieux pour le réaliser. Pourtant il aimait énormément la littérature grecque. Il accorda à Simon le Mage la première manche de cette lutte. Simon commença à méditer et il appela la majesté divine, la puissance des yeux de Yahvé, la puissance des bras de Yahvé, la puissance des pieds de Yahvé et un grand être parut dans le ciel qui lui tendit la main. Alors, le Mage s’envola dans la main de Dieu. Ce n’était pas mal comme fantasmagorie hypnotique. Mais Pierre se mit en prière et son invocation monta vers Jésus. Il le pria avec tant d’intensité que le malheureux Simon comme une « pierre » se cassa net les deux jambes. Néron hésitait, se demandant lequel des deux avait le plus de pouvoir, donc le plus de raison. Pourtant, le malheureux Simon semblait battu avec ses deux jambes cassées. Néron ordonna qu’on lui coupe la tête. Un bourreau survint, un nubien gigantesque, au crâne rasé, aux yeux féroces, armé d’un sabre courbe. On apporta un billot et on mit la tête de Simon sur ce socle. Le sabre siffla dans l’air et tomba. La tête de Simon fut séparée de son corps. Mais l’on s’aperçut avec un étonnement profond que la tête tombée n’était pas celle d’un homme, mais celle d’un bélier. Quant à Simon, parfaitement reconstitué, il se dressa sur ses deux jambes guéries et salua en souriant Néron qui fut absolument émerveillé. Il y avait de quoi ! Ensuite, Simon déclara :

Grand Néron, Jupiter lui‑même veut rendre hommage à ta grandeur. Il va descendre sous forme d’une foudre jusque devant toi.

Alors, il lève la main, la foudre gronde et tombe sur la coupe d’or de Néron qui fut partagée en deux.

Néron rentra dans une violente colère contre saint Pierre, le vaincu de ce tournoi de prodiges, et ordonna qu’on le crucifie la tête en bas. C’est justement ce que voulait saint Pierre dans son extrême humilité. Alors on l’emmena et on le crucifia la tête en bas. C’était un symbole. La véritable religion, celle du Christ, avait été renversée par saint Pierre et son Église. C’est également un symbole kabbalistique : Roma, la future maison de Pierre, est l’inverse de Amor. Autrement dit, Rome est le contraire de l’amour.

À ce moment‑là, Simon le Mage disparut, car Néron pensait le faire tuer lui aussi. La première tentative avait échoué mais enfin, le feu, par exemple, aurait pu avoir raison du maudit magicien qui préféra disparaître. On jeta le cadavre de Pierre dans une fosse commune, au milieu des morts chrétiens. Le surlendemain, arriva Simon le Mage. Il ressemblait trait pour trait à Simon Pierre. Il demanda le cadavre de Pierre en se présentant comme son frère. Le gardien qui était chrétien lui dit :

Évidemment, je le reconnais, tu as une ressemblance frappante. Il est impossible que tu ne sois pas le frère de Pierre. Je te donne donc le corps du martyr.

Simon emmena la dépouille de Pierre et la brûla consciencieusement sur le haut d’une montagne.

L’âme de Pierre s’envola dans les abîmes étoilés. Elle revint 1 000 ans après dans le corps du pape Gerbert qui fut à la fois un pontife et un initié en sorcellerie. On l’intronisa pape, autant qu’il m’en souvienne, en 999. Gerbert se mit en rapport avec les puissances de la Haute Magie. Tout enfant, il se contentait de garder les moutons, mais il couvait, au fond de son cœur, l’ambition d’être le maître du monde. Un seul moyen menait à l’empire universel, la tiare du hiérarque suprême. Or, on ne pouvait être pape qu’en rentrant dans les ordres. Il rentra donc dans l’enceinte de la prêtrise. Mais il fit auparavant un petit tour du côté de Barcelone où s’épanouissait un étonnant collège kabbalistique, dominé en grande partie par des talmudistes ayant reçu l’initiation non seulement des Juifs, mais aussi des Ismaéliens et des Hindous. Ils possédaient une extraordinaire science, une merveilleuse sagesse. Ils lui donnèrent un livre prodigieux grâce auquel il pouvait évoquer les démons de l’air, de l’eau, de la terre et du feu, et comprendre le langage des oiseaux. Il s’amusa notamment à évoquer le démon de l’eau un jour où il était environné d’ennemis. Une vague énorme arriva, emporta ses adversaires d’un côté et lui de l’autre. Cette séparation le sauva. Il lui arriva d’évoquer les démons du feu, au milieu d’une foule hostile qui voulait absolument le tuer parce qu’on le considérait comme un sorcier dangereux. Ses agresseurs furent brûlés ou disparurent au milieu d’une flamme descendue des cieux. Gerbert avait le pouvoir de passer d’un plan à un autre, d’aller de Cadix jusqu’à Cordoue par exemple, sans la moindre difficulté, en appelant son maître, l’un des anges les plus importants de l’abîme.

Il était donc devenu pape, grâce à l’instructeur qu’il adorait, non pas Jésus, mais Samaël. Ce dernier avait pour Gerbert la plus grande et la plus profonde des passions. Ce pape sorcier fabriqua le premier une fantastique machine, l’ancêtre des ordinateurs. C’était une tête d’enfant avec une langue mobile sur laquelle étaient greffés les signes du Zodiaque et d’autres signes non moins mystérieux. À l’intérieur de cette tête magique, une âme s’incarnait momentanément, celle du grand Samaël. Il suffisait d’interroger la tête pour qu’elle réponde en clair et intelligible langage. On pouvait donc connaître tous les secrets du ciel, de la Terre et de la Lune. Gerbert avait aussi fabriqué une multitude de robots vivants, des espèces de golems. Dans son palais de Rome, se dressaient douze statues vivantes en communication avec les douze régions de l’empire. Quand des soulèvements religieux se produisaient contre lui dans cet empire, la statue qui correspondait à la région de la révolte agitait automatiquement une clochette d’or. Par conséquent, il savait où envoyer ses soldats et ses fidèles.

Il devint, grâce à sa magie, l’ami d’Otton III, empereur d’Allemagne. L’union de l’empereur et du pape fit que la Terre se trouvait pratiquement sous la domination de Gerbert. Il ne manquait pas d’une certaine allure épique et sauvage. Il avait décidé également d’être un mage aussi grand que le mage Simon qui l’avait vaincu jadis. Il donna à Otton III quelque chose d’extraordinaire : la faculté de retrouver le tombeau de Charlemagne. Grâce à ce tombeau qu’il retrouva dans un rêve à la fois prémonitoire et télépathique, il acquit une puissance exceptionnelle sur l’univers tout entier. On a parlé naturellement de cette fameuse lance de Longinus qui frappa le flanc de Jésus et qui faisait partie du trésor de Charlemagne. Elle tomba aux mains de Otton III.

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François Brousse
Le Livre des révélations, t. 2, Clamart, Éd. La Licorne Ailée, 1992, p. 135-140