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Le Manifeste de la Quatrième Dimension
Vitrolles, Éd. de la Neuvième Licorne, 2008 – 11 euros
Édition numérique – 8 euros
Extrait
François Brousse
Imaginez un instant que le cube, lassé d’être cubique, se précipite tête baissée, dans une dimension inédite, il découvrira la Quatrième Dimension.
L’homme, réalité tridimensionnelle, projette sur la Terre une ombre à deux dimensions, image de lui, différente de lui. L’homme est, par rapport à son ombre, un dieu aux extraordinaires puissances. Mais, à son tour, il n’est que l’ombre d’un être immense dont la majesté se déploie dans les quatre dimensions de l’abîme.
Comment atteindre cet idéal royaume ?
Certains sensitifs sont touchés par les étincelles d’en haut : voyants, prophètes, mages, poètes, artistes, ont le coeur traversé par les coruscations inspiratrices. La muse, la fée, le daïmon, l’esprit guide, l’ange, tombent subitement de la trappe ouverte dans le ciel, et disent aux contemplateurs le message du mystère. Il faut s’arracher au monde cubique pour monter dans l’inexprimable lumière de la supraconscience. Ce n’est pas en dépeignant le cloaque des entrailles humaines que vous transfigurerez les âmes. Montrez leur plutôt les chemins du sublime !
Ses chemins se déroulent, ponts fantastiques, entre des gouffres bouillant de maléfiques fascinations. Toutes les sorcières de l’abîme tendent leur visage de fleurs et leurs mains crochues. La molle brise qui souffle dans leurs noires écailles a des senteurs de pourriture. Les sorcières cachent le bas de leur corps qui se termine en pattes de grenouille, dont les pentacles palmés écrasent les esprits. Ces montres ont un nom terrible : les Drogues.
Pour s’évader du réel, trop lourd, trop torturant, l’homme ordinaire s’enivre à la source de l’alcool. Les hommes plus subtils boivent aux fontaines ironiques de l’opium, de la coca, de la morphine, et à leurs innombrables soeurs mornes. Mais l’éther des pharmaciens n’est pas l’éther des Dieux. L’un procure une saoûlerie mortelle, l’autre est l’océan des ivresses infinies.
Les Drogues incontestablement, peuvent obtenir d’âpres résultats hallucinatoires. Elles se haussent parfois jusqu’aux cimes de la Quatrième dimension mais les coeurs qu’elles transportent dans leur houle n’ont pas reçu le baiser du Styx : ils sont vulnérables et les foudres du ciel supérieur les frappent. Folie, Désespoir, Déchéance, ces trois masques de Satan guettent les imprudents navigateurs.
Satan ne peut triompher que si l’homme jette dans la boue sa propre couronne : la possession de soi. Les énergies internes ont une force illimitée, mais les passions basses ravagent tout comme un torrent de laves, les passions hautes transfigurent tout comme la flamme de Jéhovah. Notre maîtrise consciente consiste à transformer, alchimiquement le plomb terrestre en or séraphique.
L’âme de l’homme est triple comme le trident de Neptune. Le conscient se tient au centre, dans une auréole de clarté et de volonté, au dessous pullule l’inconscient animal, comme une mare pleine de larves férocement titaniques et au zénith plane, dans un large bruit d’ailes, le supraconscient, la sphère de cristal qu’habitent les archanges.
L’erreur de la plupart des esthètes en quête d’Inédit est de confondre la mare visqueuse avec la sphère exaltante, l’inconscient animal avec le supraconscient divin. Ces esthètes font des plongées admirables au fond d’eux mêmes et s’ébattent dans un grouillement de météores de boue. Ils font jaillir les fusées du sexe, du scatologique et du vulgaire, et si des étincelles d’or les poignardent, elles proviennent de l’esprit supérieur, qui se meut perpétuellement, comme se meuvent les astres.
Contemplez plutôt Paul Valéry : il respire, salamandre condensée, dans la lucidité des flammes parfaites.
Certes, la poésie, l’aigle des neiges, peut aussi bien raser le sol que se fondre dans le délire des brumes et des mers, cependant elle ne souffre aucune bassesse. Attention à la pieuvre qui se traîne dans des crachats.
L’essentiel pour le poète est d’avoir l’appétit de la grandeur ou le trouble du mystère. Le mariage de ces deux forces compose l’escarboucle de Merlin qui brille habituellement au front du génie. Rejetons les petitesses du monde cubique. Nourrissons nous de sublimes pensées et de célestes enthousiasmes. L’inspiration viendra, immense, multicolore, irrésistible, comme la mer, à l’heure de la marée, brise ses portes.
Mais tourner entièrement le dos à la conscience est une erreur aux proportions de démence. Nous risquons alors de choir dans la tourmente bestiale, celle qui règne au coeur des fauves ou aux ganglions des insectes. Nous commettons la déviation fatale. La fusée, au lieu de bondir vers les astres, s’écrase sur les rocs de la terre. Le conscient doit être, non détruit, mais transcendé. C’est la première marche de l’escalier, dont la vrille ascendante troue le zénith.
François Brousse
Le Manifeste de la Quatrième Dimension, p. 9-11
Article de presse
FRANÇOIS BROUSSE, PHILOSOPHE ET CONTEUR, FONDE LE GROUPE DE LA QUATRIÈME DIMENSION
Sud-Ouest, Bordeaux, 17 juillet 1952
Extrait
Nous avons déjà montré (« Sud‑Ouest » des 7 et 27 mai dernier) que Perpignan était un centre littéraire et artistique important. Il me faut dire maintenant qu’un de ses fils, M.François Brousse, y a fondé en 1950 le groupe philosophique de la quatrième dimension, avec le poète surréaliste Anaël, pénétré d’inspirations orientales, Marthe Cormary, auteur de contes humoristiques ou émouvants ; Élisabeth de Ponthière, peintre primitiviste et poète révolté ; un peintre poète surréaliste espagnol, etc.
R. C. [Raymond Cahisa]
Extraits (Suite)
L’homme et son œuvre
Né en 1913 à Perpignan où il fait ses études secondaires avant de passer à la Faculté des lettres de Montpellier, M. François Brousse sera professeur de philosophie, tour à tour aux collèges d’Alès (1940), Sète (1944), Castelnaudary (1945) et au lycée de Perpignan.
Né en 1913 à Perpignan où il fait ses études secondaires avant de passer à la Faculté des lettres de Montpellier, M. François Brousse sera professeur de philosophie, tour à tour aux collèges d’Alès (1940), Sète (1944), Castelnaudary (1945) et au lycée de Perpignan.
Sa profession est en harmonie avec ses aspirations.
- Poète exotique, un Leconte de Lisle sera astreint à faire des traductions pour vivre,
- Poète contemplatif, Sully Prudhomme était ingénieur au Creusot ;
- Et Mallarmé, le chef du symbolisme, professeur d’anglais.
Mais un métaphysicien professeur de philosophie : l’heureuse rencontre pour M. Brousse !
Fils d’un capitaine d’artillerie, on le voit mal dans l’armée, même dans l’artillerie, quoique mathématiques et poésie voisinent. Mallarmé enfant rêvait de devenir évêque. Il n’a pas réalisé son rêve, à moins que Freud vienne nous dire qu’il fut le représentant suprêmement épiscopal d’un art occulte. François Brousse, lui, est aimé des dieux.
Évidemment, de ce corps élancé, maigre, à fortes lunettes, de ce végétarien doux, patient, optimiste, qui croit à la médecine homéopathique, à l’au‑delà, à la métempsycose, qui admire la philosophie hindoue et Gandhi, « celui qui se laissait mourir de faim », on peut dire qu’il est dans la lune, voire dans les planètes transplutoniennes. Les Catalans, moqueurs et fortement réalistes, passionnés surtout par les cours du vin, de l’abricot et de la salade – d’abord vivre, ensuite philosopher – ne s’en font peut‑être pas faute. […]
Réaliste, d’ailleurs, Brousse l’est quand il veut lui aussi. Ainsi, Perpignan a eu besoin de lui pour y fonder le comité Victor Hugo qui vient de donner à la radio roussillonnaise une conférence sur le chef romantique et de ses pièces.
Métaphysicien et philosophe de l’histoire, François Brousse l’est dans ses essais
- sur les cycles de l’histoire pour montrer comment des événements analogues se répètent, notamment tous les mille ans,
- sur l’astronomie, notamment sur l’existence des planètes transplutoniennes pressenties par Camille Flammarion dans « Les Terres du ciel »,
- dans ses essais sur l’identité des religions, sur les traditions occultes chez les Pères de l’Eglise, notamment Origène, dont les écrits se rapprochent de l’hindouisme.
Conteur, il a publié dans la « Revue du Midi » un conte tibétain, sur « La Tortue immortelle », extrait d’une série de contes fantastiques et philosophiques. […]
« L’homme est triple »
Né vers 1922, appuyé sur l’intuition bergsonienne et les contestables théories de Freud, le surréalisme recherche dans l’inconscient et notamment dans l’état de fatigue et les rêves, les sources de son inspiration, rejette la raison et la morale.
François Brousse prétend que l’homme est triple : un inconscient animal où grouillent les instincts, un conscient humain, et un surconscient angélique, surhumain.
L’homme, et surtout le poète, doit non pas tomber dans l’inconscient, mais se hausser jusqu’au surconscient qui est le domaine de la quatrième dimension.
Au lieu de tourner le dos à la raison, il faut la suivre jusqu’au moment où l’intuition la remplace.
Einstein a fait du temps la quatrième dimension de l’espace. Erreur dit Brousse. Au-delà du temps et de l’espace, au‑delà du monde matériel rayonne la quatrième dimension qui est un surmonde.
Il faut, pour atteindre ce surmonde, une véritable discipline intérieure : rejet de toute pensée de haine, culture de l’enthousiasme et du sens esthétique, recherche dans les rêves, pensée métaphysique.
Par sa quête de l’universel, Brousse s’inscrit dans la lignée des « poètes scientifiques » qui, de Gauthier de Metz (XIIIe siècle), Brunetto Latini, Jean de Meung, du Bartas, Delille, N.Lemercier, André Chénier, va à Vigny, Leconte de Lisle, Sully Prudhomme, Hugo, le Lamartine du « Livre primitif », André Ghil et Nicolas Beaudouin rimant : « Je suis l’homme cosmogonique / En qui s’incarne l’univers ». […]
Le poète ésotérique
[…] L’univers entier aspire vers la libération. Il faut saisir ce qui palpite au‑delà de l’espace et du temps, dans la quatrième dimension où les lois de la gravitation s’effondrent. […]
Philosophie hautement spiritualiste, optimiste, qui admet que toutes les humanités éparses dans les globes de l’espace atteindront la perfection et le bonheur à la suite de nombreuses palingénésies, toutes les religions n’étant que des formes diverses de la vérité unique.
Félicitons M. Brousse et de l’unité de son œuvre, de son ampleur, de sa rigueur formelle, et de sa foi dans un monde meilleur.
Forçant la tour d’ivoire hautaine de « l’art pour l’art » méprisant le peuple, il s’est, comme Hugo, fait mage pour conduire les peuples vers Bethléem, leur montrer le chemin de la sagesse, de la perfection et, finalement, du bonheur.
R.C. [Raymond Cahisa]
Sud-Ouest (Bordeaux), 17-07-1952