Voltaire
De son vrai nom François-Marie Arouet
Paris, 21 nov. 1694-30 mai 1778
Cet ardent et ironique esprit devait édifier le temple du déisme philosophique, où l’on célébrait le culte de l’Être Suprême, débarbouillé de toutes les superstitions théologiques.
François Brousse
La Trinosophie de l’étoile Polaire, Clamart, Éd. La Licorne Ailée, 1990, p. 246
Voltaire, l’intarissable polémiste
Voltaire écrivit, d’une plume ardente et pure, d’innombrables livres, gonflés de générosité, zébrés d’intelligence, striés de malice. Il voulait délivrer l’espèce humaine par le pouvoir de la parole écrite.
Sa devise, « Dieu, liberté, tolérance », sonne comme le réveil des générations arrachées au tombeau des préjugés. Dieu, c’est le grand architecte de l’univers, presque palpable à la main du philosophe. La liberté, c’est l’épanouissement tranquille de toutes les opinions et de toutes les diversités. La tolérance, c’est la vertu suprême qui permet de respecter la vie et la pensée des êtres humains qui doivent, non se haïr, mais s’aimer, non se mépriser, mais se comprendre, non se détruire, mais s’entraider.
Les mêmes vérités brillent dans l’aura de Jean‑Jacques Rousseau, le frère ennemi, l’éternel stimulant de Voltaire. Mais, dans la Profession de foi du vicaire savoyard s’y ajoutent l’immortalité de l’âme, contestée quelquefois par le Dictionnaire Philosophique, et l’amour de l’âme pour Dieu.
Voltaire s’élève jusqu’à l’Être suprême, sur le char doré de l’intelligence. Rousseau préfère chevaucher l’oiseau d’azur, le grand cygne bleu du sentiment.
François Brousse
Dans la Lumière ésotérique, Clamart, Éd. La Licorne Ailée, 1999, p. 219-220
Par une puissante vision de la tolérance universelle, on arrivera, selon Voltaire, à supprimer vers la fin des temps toutes les chaînes qui pèsent sur l’humanité pour qu’elle devienne libre, heureuse, rationnelle et déiste, car Voltaire, en tant que grand prophète, a toujours cru en Dieu du premier au dernier soupir. Il a toujours affirmé l’existence d’un Dieu parfait au-delà des vains fantômes des religions.
François Brousse
Conf. « Les cycles dans l’histoire », Paris, 15-01-1985
Voltaire et le siècle des lumières
Sans doute, dans sa maturité, Voltaire s’entoura d’un mur d’argent et de renommée, pour défendre sa haute indépendance. Mais que d’admirables élans ! On le jette, deux fois, à la Bastille. L’exil en Angleterre lui ouvre ses portes. N’importe, il continue son œuvre inspirée.
Frédéric II l’accueille avec pompe : pension, grande croix du mérite, titre de chambellan. Va‑t‑il se laisser domestiquer ? Mais le roi et le philosophe échangent de susceptibles étincelles, l’un parce que tyran, l’autre parce que libre.
Voltaire s’enfuit près de Genève, puis s’installe définitivement à Ferney, d’où son sceptre de lumière régente l’Europe. Il défend contre les Parlements, ces singes‑tigres, de malheureuses victimes : Calas, Sirven, La Barre, Lally-Tollendal. […]
Il était bien revenu de sa naïve admiration ! Frédéric obéissait frénétiquement à sa volonté de puissance. Voltaire, lui, dédaignait ces pesants monstres de la Terre pour se tourner vers le libre envol des idées. […]
Le rationalisme du XVIIIe siècle repoussa le don sacerdotal des Mages. C’est là sa limite, fatale et providentielle – car il ne fallait pas détourner le jeune Hercule de son labeur : nettoyer les écuries d’Augias.
Malgré tout, le bilan du siècle des Lumières reste magnifiquement positif. Proclamer l’existence d’un Dieu unique et sans forme, la sainteté de l’universelle tolérance, la valeur sacrée du genre humain et de l’homme individuel, la liberté de l’intelligence débarrassée d’entraves…
François Brousse
Nostradamus ressuscité – Tome II, Clamart, Éd. La Licorne Ailée, 1997, p. 244-245
Les grands maîtres
Nous devons aussi environner les grands Maîtres de l’encens de nos pensées positives. Ils ont rénové le mental humain. Nous en comptons quelques dizaines : les fondateurs de religion, les poètes inspirés et les métaphysiciens visionnaires.
J’ajouterai que, souvent, les grands poètes et les grands métaphysiciens se situent sur un niveau très supérieur à beaucoup de fondateurs de religion. Si nous comparons, par exemple, Mahomet et Voltaire, je ne vous cacherai pas que, à mon humble avis, c’est Voltaire qui est le plus élevé sur le chemin de l’évolution et de l’initiation. Il a apporté la croyance en un Dieu universel, en dehors de toutes les religions. Il a apporté également l’idée que pour servir ce dieu universel il faut faire le plus de bien possible à l’humanité, ce qui est tout de même admirable. Enfin, à la suite de Rousseau et d’autres, il a parfois proclamé que l’homme était libre, responsable de ses actes et que, après la mort, il y aurait récompense et châtiment, sans d’ailleurs que le châtiment soit éternel.
François Brousse
L’Évangile de Philippe de Lyon, Clamart, Éd. La Licorne Ailée, 1994, p. 142-143
Dans l’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations (1756), Voltaire a magnifiquement tracé l’évolution de l’homme, qui va de la superstition à la philosophie et du fanatisme à la tolérance. Voltaire a été le juge ironique et attendri des siècles […].
Le monde sera lassé néanmoins de son rationalisme étroit, qui rejette avec dédain les prodiges et les prophéties, sphère éclatante et fulgurale, que l’on appelle aujourd’hui le paranormal, gouffre où la science se penche avec inquiétude, et que contemple l’œil du Mage, ami de Dieu.
François Brousse
Nostradamus ressuscité – t. 3, Clamart, Éd. La Licorne Ailée, 1998, p. 215

Voltaire prophète et prophétisé
Une des marques du prophète est de nier la suprématie d’une religion quelconque. Hugo, comme Porphyre, comme Voltaire, raille impitoyablement la vieille louve romaine.
François Brousse
Nostradamus ressuscité – Tome III, Clamart, Éd. La Licorne Ailée, 1998, p. 365
Nostradamus, mage et poète, ne pouvait ignorer l’importance des géants de la pensée. Il en parle fréquemment dans ses pages frémissantes. Il sait qu’ils constituent le cœur même du cosmos. Il distingue, à travers les brumes du futur, les hautes cimes de l’esprit. Faute de connaître cette clé, on s’égare dans des confusions ahurissantes, où l’on prête à des chefs de guerre la noblesse des prophètes et des initiés. Voici d’abord un quatrain sur Voltaire :
Celui qu’avait la charge de détruire
Temples, et sectes, changées par fantaisie
Plus aux rochers qu’aux vivants viendra nuire,
Par langue ornée d’oreilles rassasie. (I-96)
Voltaire, qui croyait profondément en Dieu, s’était donné pour mission de détruire les religions chrétiennes, notamment le catholicisme.
Il les accusait d’être le fruit des fantaisies et du fanatisme humain. […] Ses nuées de pamphlets, tantôt moustiques, tantôt abeilles, s’attaquèrent surtout aux « rochers », dit Nostradamus, c’est-à‑dire aux églises hiérarchisées, dogmatiques, granitiques, dont l’église de Pierre est le modèle, et non aux libres mystiques, aux ivres d’absolu, aux vivants.
Le dernier vers rend un amical hommage à l’éloquence de Voltaire, harmonieuse et colorée, une langue dont le charme rassasie les oreilles.
La poésie est la musique de l’âme, et surtout des âmes grandes et sensibles. (Dictionnaire philosophique, « Poètes »)
On a fait, depuis Voltaire, du chemin dans la connaissance de la divine beauté, mais ses œuvres restent imprégnées d’enchantements âpres et délicieux.
Voltaire était un prophète qui raillait la prophétie.
Écoutez‑le déclamer contre les devins ! Puis il lance des prédictions comme des cris de triomphe. Cet antidevin devin, ce moqueur de prophètes prophétise. Et il prophétise juste :
Tout ce que je vois jette les semences d’une révolution qui arrivera immanquablement, et dont je n’aurai pas le plaisir d’être le témoin. Les Français arrivent tard à tout, mais enfin ils arrivent. La lumière s’est tellement répandue de proche en proche, qu’on éclatera à la première occasion, et alors ce sera un beau tapage.
Cette prédiction, nette et claire, se trouve dans une lettre de Voltaire au marquis de Chauvelin, datée du 2 avril 1764.
Les vrais devins se dressent à tous les carrefours de l’esprit.
François Brousse
Nostradamus ressuscité – Tome II, Clamart, Éd. La Licorne Ailée, 1997, p. 124-125
Voltaire a reçu, avant de naître, l’initiation de la planète Mars.
Cela se constate très bien à son activité, à sa combativité, à sa puissance et presque à certains moments, à sa férocité ; Voltaire apparaît nettement comme le combattant de la lumière, un combattant parfois terriblement sarcastique et destructeur, mais qui représente malgré tout les lignes de la vérité.
François Brousse
Conférence « La nuit du Wesak 1982 et Le baptême du duc de Bordeaux », Prades, 17-05-1982

Peux‑tu résumer la pensée de Berkeley sur les idées abstraites ?
F.B. : Berkeley (1685-1753) croit, de manière générale, qu’il n’y a pas de réalité en dehors des idées. Les seules réalités sont les idées, les autres choses ne sont que des reflets déformés des idées éternelles. Voilà pourquoi, c’est assez curieux d’ailleurs, actuellement une grande usine de neutrons s’appelle Berkeley. Il était un des plus grands philosophes qui soit, mais c’est celui qui n’a jamais été compris. On ne peut pas dire qu’il croit à la matière, pour lui la matière n’existe pas : « La matière n’est pas et l’âme seule existe (1) », c’est en ce sens qu’il est un étonnant et fantastique philosophe. Voltaire a essayé de se moquer de lui, mais cela n’a pas marché ; Voltaire n’était pas toujours divin, quoi qu’en ait dit Hugo. Rappelez‑vous sa fameuse strophe :
« Job fut le deuil, Platon la lyre,
Jésus l’hymen ;
Voltaire fut l’éclat de rire
Du genre humain (2). »
Hugo a donné à Voltaire une importance prodigieuse. On a pu dire de Voltaire qu’il était le second en tout, à la différence de Hugo qui, lui, était le premier en tout. Mais enfin, il faut bien toujours un deuxième dans une classe, elle n’est pas obligée de n’être composée que de premiers.
(1) HUGO Victor, Dieu, « L’Océan d’en haut », VIII.
(2) HUGO Victor, Œuvres complètes, édition chronologique publiée sous la direction de Jean Massin, tome XIII, Le Tas de pierres, club français du livre, Paris, 1970, p. 701.
François Brousse
Entretien, Clamart, 23-01-1993, dans Revue BMP N°190, juillet 2000
Le déisme, arche pure qui admet un Dieu en dehors de toutes les religions révélées,
brille et flamboie dans nombre d’esprits supérieurs, comme Locke, Voltaire, Rousseau.
Le déisme souleva, illumina, féconda la pensée du XVIIIe siècle.
Cette doctrine se rencontre toujours dans une quantité d’esprits libres, qui forment une sorte d’Église sans hiérarchie,
unie par la même conception du monde.
François Brousse
« DIEU » (article) dans Revue BMP N°262-264, janv.-mars 2007
Le Dieu véritable
Voltaire, qui semble bien être le plus étroit des rationalistes, affirme tranquillement et fréquemment qu’il a une mission à remplir sur la Terre, celle de faire connaître le Dieu véritable.
Le Dieu véritable est pour lui l’esprit de sagesse ordonnateur de l’univers et en dehors de toutes les religions. Il considère les religions comme trop peu religieuses, ces dernières attribuant à Dieu des formes humaines et des aventures humaines ; elles lui concèdent la colère, la violence, la méchanceté, la rancune, ce qui n’a absolument rien à voir avec le Dieu véritable, l’Esprit et l’Intelligence suprême du monde.
Cette image de Voltaire est assez inattendue. Il va jusqu’à dire que la nature n’existe pas, qu’il y a en réalité un art souverain et que dans la moindre des feuilles d’un arbre, dans le moindre des brins d’herbe, se dessine la preuve d’un art prodigieux, d’un être qui est à la fois le grand géomètre, le grand artiste, le grand ciseleur et le grand poète, ayant fondé l’univers sur des lois mathématiques précises, prodiguant des chefs-d’œuvre de grâce et de connaissance incomparables.
François Brousse
Poésie langage de l’âme, Vitrolles, Éd. de la Neuvième Licorne, 2008, p. 26
Le déisme philosophique
Pour les déistes du XVIIIe siècle, dont les prophètes furent Bolingbroke, Voltaire et Rousseau, il n’existait qu’un Dieu, éternel et parfait, source de l’Être en même temps que source de la Valeur.
Ils rejetaient avec horreur toutes les religions révélées. Ils ne voyaient en eux que l’homme qu’il fallait sauver et qu’il fallait vénérer. Leur culte, en principe, était de faire du bien à l’humanité ; c’était le seul culte, disaient-ils, que l’Être absolu peut accepter.
François Brousse
Conférence « L’Apocalypse », Prades, 17-11-1980
Le déisme philosophique admettait un vieux principe, un dieu pur, et l’on ne pouvait l’adorer que par l’amour que l’on pouvait avoir pour l’humanité.
C’est ce que nous apprend Voltaire, et d’une manière générale, tous les mouvements philosophiques du XVIIIe siècle.
Il est fondé sur la valeur suprême de l’humanité comme sur la valeur absolue de la divinité. Il nous apprend que l’homme est libre et qu’il est responsable. En somme, les vérités essentielles de la philosophie étaient données, mais il manquait à Voltaire la communication avec l’esprit des morts, avec des archanges cosmiques qui mènent les inspirés du monde.
François Brousse
Conférence « Les prophéties de la grande Pyramide », Perpignan, 01-02-1977
Pour le déisme philosophique, Dieu existe, Il est créateur et providence.
Mais, en réalité, il n’a jamais eu la moindre ressemblance avec les dieux des religions qui sont des caricatures plus ou moins abominables forgées par l’orgueil de l’homme et la vénalité des prêtres qui ont voulu imposer aux peuples des dogmes ridicules pour avoir sur eux une maîtrise absolue.
En réalité, les prêtres ou les fondateurs de religions sont sincères et ils n’inventent pas pour tromper les êtres humains. Les visions qu’ils prétendent avoir eues, ils les ont eues ainsi que les expériences qu’ils relatent. Ce n’est qu’après que viennent les clergés dogmatiques pour imposer l’obéissance. Mais presque tous les fondateurs de religion et les prêtres primitifs sont, je crois, parfaitement sincères. C’est ce qui fait leur force.
Les déistes s’approchent admirablement de la vérité lorsqu’ils déclarent qu’au-delà de toutes les religions existe un Dieu éternel et parfait qu’ils appellent l’Être suprême ou l’Être des êtres. C’est une vision du monde infiniment plus haute et plus philosophique que la vision chrétienne ou celle de toute autre religion.
D’après les déistes, ce Dieu n’admet qu’un seul culte, celui de la bienfaisance. Car, en faisant le plus de bien possible au genre humain, on se rapproche de la divinité, de l’Âme du monde, de la sublime Intelligence qui a créé l’univers.[…] Pour lui, l’ordre même de la nature, les lois mathématiques qui gouvernent les planètes et les astres prouvaient l’existence d’une Intelligence cosmique, universelle qu’il adorait.
François Brousse
Conférence « L’unité des religions », Paris, 16-09-1986
Je vous rappelle également la parole qui était extrêmement curieuse de sa part :
L’univers m’embarrasse et je ne puis songer que cette horloge existe et n’ait pas d’horloger. (Voltaire)
Et il continuait sa comparaison en disant : – Il y a des lois naturelles, elles sont d’ordre mathématique. Il y a un ordre dans l’univers imposé par les lois.
Or, il est absurde de dire que, s’il y a un ordre, cela c’est fait au hasard. Le hasard ne crée rien. En réalité, s’il y a une intelligence mathématique dans les lois de l’univers, c’est que le monde est lui-même le fruit d’une intelligence mathématique. Il déclare : – C’est vrai, et c’est vrai également pour la fleur, pour la plante, pour nous. Nous sommes composés d’organes et tous ces organes ont une finalité. Et Voltaire ajoute : – Il est absurde de dire que l’œil n’est pas fait pour voir et que l’oreille n’est pas faite pour entendre et que la main n’est pas faite pour prendre. Par conséquent, il faut qu’un Dieu ait créé précisément cette finalité dans l’univers car tout être vivant est soumis à une finalité intelligente et les mondes eux-mêmes sont soumis à une harmonie mathématique.
Donc Dieu existe. Il est à la fois le souverain mathématicien et le souverain ordonnateur ou créateur du monde.
François Brousse
Conférence « Dieu-pensée des philosophes ; Dieu-idole des religions », Perpignan, 03-03-1988
L’immortalité de l’âme
Voltaire et Rousseau croyaient-ils à l’immortalité de l’âme ?
Pour Voltaire, cela dépendait des jours, car c’était tantôt oui, tantôt non. Mais il lui est arrivé d’écrire des vers absolument admirables dans lesquels il prétend que l’âme est immortelle :
Oui, Platon ! Tu dis vrai, notre âme est immortelle.
C’est un dieu qui lui parle, un dieu qui vit en elle.
Et comment expliquer ces grands pressentiments,
Ce dégoût des faux bien, cette horreur du néant ?
Vers les cieux infinis, je sens que tu m’entraînes.
Du monde et mes sens je veux briser la chaîne
Et m’ouvrir loin de lui dans le monde abrité,
Les portes de la vie et de l’éternité.
L’éternité ! Quel mot effrayant et terrible !
Ô nuage ! ô lumière ! ô profondeur horrible !
Que me préparez-vous, abîmes ténébreux ?
Allons ! s’il est un dieu, Platon doit être heureux !
Il en est un sans doute et l’homme est son ouvrage.
Lui-même au cœur du juste il empreint son image.
Il sait venger sa cause et punir les pervers.
Mais comment ? Dans quel temps et dans quel univers ?
Ici la vertu pleure et l’audace l’opprime ;
L’innocence à genoux y tend sa gorge au crime.
La fortune y triomphe et tout y suit son char.
Ce globe infortuné fut créé pour César.
Hâtons-nous de quitter cette prison funeste.
Je te verrai sans voile, ô vérité céleste,
Qui te cache de nous en nos jours de sommeil.
Toute vie est un songe et la mort, un réveil (1).

Ces vers sont inattendus. C’est un Voltaire tout à fait inconnu qui se révèle.
Rousseau était parfaitement convaincu de l’immortalité de l’âme et il était sûr qu’il y avait récompense ou châtiment après la mort. Il ne croyait pas du tout à un enfer éternel. […]
(1) – VOLTAIRE, Lettres philosophiques, 1784
François Brousse
Conférence « L’unité des religions », Paris, 16-09-1986
Puis Voltaire, « cet esprit de flamme, armé du rire », pour parler comme Hugo, Voltaire, le grand calomnié, le grand iconoclaste, le grand idéaliste.
On l’a accusé de salir la religion : mais c’était une religion fausse, couverte de mensonges dorés, vêtue de trompeuses vipères, une pyramide hiérarchique dominée par une tiare de sang. L’ombre colossale des églises cache Dieu. Voltaire, traversant cette ombre, est entré dans la zone où brille le soleil de l’intelligence absolue, sans prêtres, sans dogme, sans enfer, sans limite. Ce déiste génial est beaucoup plus religieux que le lamentable troupeau des médiocres qui vont à la messe tous les dimanches et s’imaginent manger l’Être Infini en avalant une rondelle de pain. D’autre part, Voltaire découvrit la fraternité humaine, déjà prêchée par Jésus et Bouddha et lui donna le beau nom de tolérance universelle. Les hommes sont attachés à leurs idées préconçues comme des mollusques à leur rocher, mais ces mollusques deviennent plus féroces que des tigres quand ils rencontrent d’autres mollusques attachés à d’autres idées. Des inquisiteurs du Moyen Âge aux Bolcheviks contemporains, le même épouvantable fanatisme soulève les croyants. Voltaire, cet homme, essaya de combattre ces monstres, ces mollusques tigres. Il essaya d’exciter l’esprit critique en ces cerveaux flasques, la bonté dans ces furieuses griffes. Momentanément, il réussit. La torture recula, la sottise recula, le fanatisme recula. Une sorte de lumière compatissante pénétra le monde et cette lumière sortait du vieux sorcier au sourire démoniaque.
Mais Voltaire n’était qu’une intelligence aiguë comme la pointe d’une flèche, pointe incisive et dure. Ce Dieu qu’il adorait restait perdu dans un immense espace d’abstraction pure. Au contraire, Rousseau, le plébéien vibrant d’enthousiasme, rendit sensible au coeur l’Être Suprême. Puis il compléta l’idéal de liberté que brandissait Voltaire comme une étoile, par un autre idéal, plus populaire, la torche de l’égalité. Et cette torche jeta des flammes terribles, dont la première fut la Révolution Française (toute pénétrée d’ailleurs de liberté) et la dernière, malheureusement plus convulsive, est la révolution marxiste. Sous cet angle, Rousseau est le précurseur de Karl Marx. La Révolution Française, combinant la liberté et la fraternité voltairiennes avec l’égalité Rousseauiste, formait une synthèse profondément humaine. La Révolution russe, massacrant liberté et fraternité au profit d’une égalité monstrueuse, reconstruit granitiquement les antiques tyrannies orientales et crucifie, à côté des dieux, les hommes. Certes, Rousseau n’a pas voulu cela ! Il remplaçait la souveraineté frelatée des rois par la souveraineté légitime du peuple. Hélas ! Les hommes, nains malfaisants, déforment toute grande idée.
François Brousse
Les Conquérants reviviscents, Clamart, Éd. La Licorne Ailée, 2010, p. 78-80
La Princesse de Babylone
On trouve dans le conte de La Princesse de Babylone [1768] écrit par Voltaire des éléments parfaitement inattendus.
Son héros s’appelle Amazan (1), un Gangaride, c’est-à-dire un habitant des bords du Gange. Ces Gangarides règnent dans un espace parfaitement démocratique, ils sont tous égaux, pas de hiérarchie, ils sont tous sages, tous végétariens, croient tous à la transmigration des âmes et ont tous pour monture des licornes.
Un beau matin l’empereur des Indes veut conquérir le monde et d’abord le petit pays des Gangarides. Les Gangarides avec leurs deux mille licornes mettent en fuite les cent mille éléphants de l’empereur des Indes – ce qui n’est pas mal ! –, puis ils s’emparent de l’empereur et, au lieu de le tuer, comme un réaliste quelconque le ferait, ils se contentent de le soumettre pendant six mois à un régime strictement végétarien. Après quoi, ils le rejettent dans la nature, parfaitement pacifié.
On ne sait jamais si Voltaire se moque ou s’il parle très sérieusement. En tout cas, cette histoire de licorne, animal fabuleux sorti des anciens contes du Moyen Âge, cette histoire de végétarisme et de nourriture pure font de Voltaire un ésotériste de premier ordre.
(1) Charles Amazan est un des pseudonymes de François Brousse, notamment utilisé pendant la Seconde Guerre mondiale.
François Brousse
Poésie langage de l’âme, Vitrolles, Éd. de la Neuvième Licorne, 2008, p. 27
Au XVIIIe siècle, Il y eut un clivage : ceux qui tenaient pour le rationalisme humaniste – Voltaire, par exemple –, et ceux qui admettaient l’inspiration et les arts divinatoires – Cagliostro et Mozart –, sans oublier l’énigmatique comte de Saint‑Germain. Mentionnons aussi le visionnaire Swedenborg, qui admettait la réincarnation, et la découvrait dans les pages des livres juifs et chrétiens. Balzac, dans son chef-d’œuvre Séraphita, a immortalisé le souvenir de ce génial théosophe.
Voltaire et le comte de Saint-Germain
Voltaire était un initié, cela peut paraître étonnant et il avait connu le comte de Saint-Germain.
Saint-Germain lui avait appris qu’il y avait seize planètes dans tout le système solaire. Et Voltaire disait de lui : – C’est un homme qui sait tout et qui ne meurt jamais.
Il appartenait à la loge des neuf sœurs au point de vue franc-maçonnique et, en somme, il a toujours affirmé depuis son premier souffle jusqu’à son dernier soupir l’existence d’un Dieu éternel et parfait en dehors de toutes les caricatures que les religions pouvaient donner de cet être divin. Il a en quelque sorte non pas créé mais rénové la religion naturelle.
Voltaire d’ailleurs avait écrit au-dessous du portrait de comte de Saint-Germain, quelque chose, un quatrain très beau :
Ainsi que Prométhée, il déroba le feu
Parce qu le monde existe et par qui tout respire.
La nature à sa voix obéit et se meut ;
S’il n’est pas Dieu lui-même, un dieu puissant l’inspire.
Ce qui n’est pas mal ! Voltaire est un personnage assez extraordinaire tantôt il ricane, tantôt il contemple.
François Brousse
Conférence « La comète de Halley », Perpignan, 30-12-1985
Voltaire rit de la tristesse du monde, mais son rire est plein de douleur. Il voulait que les hommes soient meilleurs, plus beaux, plus harmonieux surtout ; c’est précisément ce qui fait éclater son rire et parfois un sanglot derrière ce rire. Il s’agit d’un rire généreux.
François Brousse
Commentaires sur les Proverbes de Salomon – t. II, Clamart, éd. La Licorne Ailée, 2015, p. 188
Saveur
Toi, caustique Voltaire
Toi, Rousseau triomphal
Vous êtes le mystère
Du monde occidental…
Les pans d’un monastère
Tressent votre mental
Vous sautez, en panthère,
Loin du remous fatal !
Les religions caduques
Voilent de leur perruque
La face des Sauveurs.
Mais nous goûtons quand même,
Car l’infini nous aime
L’éternelle saveur.
6 octobre 1992
François Brousse
Le Frisson de l’aurore, Clamart, Éd. la Licorne Ailée, 1993, p.191
La mort de Rousseau et de Voltaire
Observez la différence entre la mort de Voltaire et la mort de Rousseau.
Rousseau s’est écrié : – Ô Soleil, ô flamme sublime, emporte‑moi dans ta gloire infinie. Et là-dessus, il est mort. C’était la mort d’un grand maître.
Voltaire n’est pas arrivé à cela. On avait essayé de le reconvertir. Un chrétien s’était glissé jusqu’à son lit de mort et lui avait parlé de la gloire du fils de Dieu, de l’éternité et de Jésus. Voltaire s’est tourné vers le mur et a dit : – Qu’on me laisse tranquille avec cet homme ! C’est magnifique !
La grave erreur commise par les Occidentaux, c’est de croire que l’on ne peut être sauvé qu’à travers le Christ. C’est faux ! On peut être sauvé à travers des milliers d’autres. Si vous croyez que l’on ne peut être sauvé qu’à travers un homme, vous êtes perdu, momentanément, car il n’y a pas de perte éternelle. L’idée de l’enfer éternel et de la perte éternelle est une des sottises énormes du christianisme.
François Brousse
Entretien, Clamart, 25 août 1993, dans Revue BMP N°186-188, mars-mai 2000
Voltaire et Rousseau
Voltaire s’efforçait de comprendre le monde à travers la raison, Rousseau voulait le comprendre par l’élan du cœur. Et ils aboutissaient tous les deux à la même théorie, à la théorie d’un Dieu unique et parfait qui a formé l’univers et qui ne demande pas autre chose comme adoration que d’être bienfaisant envers ses frères, les êtres humains.
François Brousse
Conférence « Dieu-pensée des philosophes ; Dieu-idole des religions », Perpignan, 03-03-1988
CONTRAIRES
Le droit de se contredire
Me paraît essentiel
Il faut pleurer, il faut rire,
Marions la Terre au ciel.
Le vent qui passe est délire
Le sage est démentiel
Le flûtiste aime la lyre
Le vinaigre a goût de miel.
Rabelais, Marot, Voltaire
N’ont jamais voulu se taire
Ils émerveillent l’esprit.
Rions sur la barque frêle
Dans la sauge et dans l’airelle
Dansent les pas de Cypris.
8 septembre 1992
François Brousse
Le Frisson de l’aurore, Éd. la Licorne Ailée, Clamart, 1993, page 118