Revue Sources Vives N°9

Perpignan, hiver 1959

Dans les montagnes

Ô Déesse, ô nature
Si sauvage et si pure
Avec le tourbillon de tes sources glacées !
Monts bercés de ramages,
Où l’ombre des nuages
Comme un fantôme bleu doucement vient glisser !

Dans vos cœurs, forêts riches
En murmures, les biches
Zébrées d’un fauve éclair s’échappent, affolées…
La nuit, sous vos arcades,
Éparpille en cascades,
Dans vos lacs inconnus ses bijoux étoilés.

Romarin et cytise
Dont le parfum s’attise
Au brandon de l’aurore, à la torche du soir
Corbeaux ivres d’espace
Dont le cri rouillé passe
Comme une blême râpe au front des rochers noirs !

Ce corps humain trop frêle
Ne peut suivre les ailes
Des aigles spacieux qui boivent l’ouragan,
Il ne peut, sous les marbres,
Comme la main des arbres
Errer dans le palais secret des korrigans.

Sous forme de reptile,
J’atteindrai vos asiles
Où l’herbe inépuisable étale ses odeurs.
Enfin, sous le visage
Du vent des hauts alpages
Je m’évanouirai parmi vos profondeurs…

François Brousse

Revue Sources Vives N°9, Perpignan, hiver 1959

Poème édité dans L’Éternel Reflet (Œuvres poétiques, t. I, Clamart, Éd. La Licorne Ailée, 1986, p. 438-439)

Dans les montagnes

O Déesse, ô nature
Si sauvage et si pure
Avec le tourbillon de tes sources glacées !
Monts bercés de ramages,
Où l’ombre des nuages
Comme un fantôme bleu doucement vient glisser !

Dans vos cœurs, forêts riches
En murmures, les biches
Zébrées d’un fauve éclair s’échappent, affolées…
La nuit, sous vos arcades,
Éparpille en cascades,
Dans vos lacs inconnus ses bijoux étoilés.

Romarin et cytise
Dont le parfum s’attise
Au brandon de l’aurore, à la torche du soir
Corbeaux ivres d’espace
Dont le cri rouillé passe
Comme une blême râpe au front des rochers noirs !

Ce corps humain trop frêle
Ne peut suivre les ailes
Des aigles spacieux qui boivent l’ouragan,
Il ne peut, sous les marbres,
Comme la main des arbres
Errer dans le palais secret des korrigans.

Sous forme de reptile,
J’atteindrai vos asiles
Où l’herbe inépuisable étale ses odeurs.
Enfin, sous le visage
Du vent des hauts alpages
Je m’évanouirai parmi vos profondeurs…

François Brousse

Revue Sources Vives N°9, Perpignan, hiver 1959

Poème édité dans L’Éternel Reflet (Œuvres poétiques, t. I, Clamart, Éd. La Licorne Ailée, 1986, p. 438-439)

« À propos du livre de François Brousse Chants dans le ciel »

Article de Jean-Paul Sangor

En rééditant Chants dans le ciel (1), François Brousse a voulu compléter un recueil de poèmes de jeunesse en y adjoignant de mul­tiples poèmes inédits datant de la même époque, ensemble qui, par les thèmes qui y sont traités, contient déjà en germe toute la future poésie de l’auteur.

Car malgré le temps écoulé, nous retrouvons ici les principales sources de son inspiration de toujours qu’il devait, plus tard, exploiter plus complètement : soif d’absolu, de pureté, d’éternité ; besoin d’évasion loin de la triste réalité, vers l’exotisme, vers l’Orient et son ésotérisme, ou mieux encore, dans l’infini ; tout ceci nuancé, quant à la destinée finale de l’homme, d’un optimisme fondé sur la foi dans son esprit immortel et parfait et dans le triomphe de l’amour dans l’univers, mais exprimé, à l’inverse de la plupart de ses der­nières œuvres, dans une forme d’une stricte orthodoxie poétique bien que souvent remarquable.

(1) – 1ère éd. 1940 ? ; 2e éd., Nîmes, Imp. Nouvelle, 1943 ; 3e éd., Imp. Labau, Perpignan, 1957

« Soif d’éternité », par exemple, comme d’ailleurs « Soir d’automne », chante l’opposition douloureuse entre cette soif d’éternité et aussi de pureté du poète et l’universel et inexorable changement d’une nature trop souvent décevante : d’où son vœu d’un paradis où tout serait éternel et pur.

Seigneur, sur les himavats calmes,
Parmi les brûlants séraphins,
Parmi les éternelles palmes
Transportez mes bonheurs sans fin !

Dans la beauté souveraine des astres,
Oh ! que ne puis‑je me cacher,
Loin de nos maux et loin de nos désastres
Loin des souillures du péché !

D’où aussi son invocation des grands sages de l’Antiquité, auxquels il demande la réalisation de son vœu.

Vous que le Verbe indestructible éclaire,
Hommes sacrés, Seigneurs bénis,
Arrachez‑moi de cette impure terre,
Transportez‑moi dans l’infini !

« Soir sur le Pacifique » traduit ce besoin d’évasion hors de l’Occident civilisé, vers les paradis terrestres de rêve de l’exotisme, « L’Exilé » son attirance pour Blida et l’Orient qu’elle représente.

La nostalgie orientale me fascine…

Blanche épouse qu’un Dieu lumineux me garda,
Couronnée de palmiers, de roses et d’oranges,
Dans ta robe de neige et d’or que l’azur frange
Je veux baiser ta bouche d’étoile, ô Blida !

« La colombe gentille » et « La visiteuse de la Lune » expriment son désir d’évasion vers l’infini stellaire :

Reine des astres tressaillants,
La Lune épanche
Son mystère pâle et troublant
Parmi les branches…

Traversant de subtils réseaux
D’ombre et de flamme,
C’est vers Elle, splendide oiseau,
Que va mon âme !

« Eux » n’est qu’un hymne aux rêves conçus comme une source essentielle de l’inspiration poétique ; « le Rossignol », un chant d’imploration de la terre angoissée auquel répond le chant d’amour de l’ange qui est à la fois un apaisement et un remède :

De l’insondable aurore où vibrent les mystères,
Un ange répondit à l’appel de la Terre
Et cet astre disait : Tu te trompes, chanteur !
Le Mal n’est qu’un ministre !
Puisque l’amour flamboie : il n’est rien de sinistre,
Et tu vivras serein si tu donnes ton cœur ! »

« La grandeur de l’Homme » enfin oppose l’homme, matière pé­rissable, douloureuse, vile, et son esprit qui, par sa puissance, lui assure peu à peu la maîtrise de l’univers :

Il héberge, avant qu’on le couche
Au lit de l’éternel hiver,
La douleur, ce serpent farouche,
L’infamie, ce livide ver,

Mais qu’importe ! Un esprit sublime
Palpite sous son crâne en feu !

Mais tous ces thèmes ne suffiraient pas à constituer des poèmes sans le secours d’ure forme qui reste ici essentiellement au service de l’idée à laquelle elle adhère malgré l’absence de sonorités ou d’harmonies libres, malgré le respect des règles de la poésie tradi­tionnelle et ce, grâce à la variété et à la souplesse du vers, le poète sachant choisir toutes sortes de mesures et de rythmes et même les faire alterner avec bonheur, comme dans « La visiteuse de la Lune » déjà citée en partie, suivant le fond exprimé et l’effet à obtenir.

C’est pourquoi, malgré quelques vers faibles, un vocabulaire un peu conventionnel par endroits, quelques clichés et parfois même une conception néo‑romantique qui s’expliquent par son extrême jeu­nesse et dont d’ailleurs nos plus grands maîtres ne sont pas exempts, le poète a de beaux mouvements pleins de sincérité, comme dans les dernières strophes de « Soif d’éternité » et sait aussi créer, à l’inverse une délicieuse atmosphère poétique toute de sobriété, d’intimité, de demi‑teintes dans d’autres poésies et spécialement dans « Soir d’au­tomne », pour exprimer, par exemple, sa nostalgie d’une jeunesse à jamais révolue et son dégoût d’un présent qui ne peut satisfaire son besoin d’absolu

La feuille avec le jour tombe… Hélas ! C’est l’automne.
Mon enfance éphémère expire dans les cieux ;
Et son cortège ailé qui chante et qui rayonne
Comme un nuage d’or s’efface sous mes yeux ?

Et l’ombre qui descend des montagnes prochaines
De son baiser de brise éveillant les rameaux,
Allume l’astre frêle au‑dessus des grands chênes,
Emmêle au sombre ciel la vapeur des hameaux.

La mer pâle et profonde est là qui se lamente…
Ô fantôme du soir, vous me rongez le cœur !
Je voudrais m’endormir à travers la tourmente,
Je suis las de la terre et je veux le Seigneur.

On comprend dès lors que cette œuvre de jeunesse soit plus im­portante qu’il ne paraît de prime abord : nous montrant déjà les principaux thèmes d’inspiration que l’auteur exploitera plus complè­tement plus tard, exprimés ici sous une forme traditionnelle sans doute mais souple et par endroits exceptionnelle, elle traduit un authentique tempérament de poète dont l’âge et l’expérience de­vraient plus tard dégager pleinement l’originalité créatrice.

Jean-Paul Sanghor

Revue Sources Vives, Perpignan, N°9, hiver 1959

Table des matières

Sources Vives N°9

Comité d’honneur – Conseillers aux arts – Comité de rédaction

« Ma plus belle journée pendant la guerre » Article de Henry Bordeaux, de l’Académie française

« Dans les montagnes » – Poème de François Brousse, dédié à J.-M. Bernicat

« À propos du livre de François Brousse Chants dans le ciel » – Article de Jean-Paul Sangor

« La joie de vivre » – Poème de Clémence Béringuier

« Le diamant » – Poème de Clémence Béringuier

« Cheminot cheminant » – Poème de Guillot de Saix

« Notes pour une réflexion augustinienne sur la recherche culturelle » – Article de Michel Bohn

« Le grand sapin » – Poème de Nickyou