Revue Sources Vives N°12

Perpignan, été 1959

Le moine en sueur

Les cloches du couvent courbent mon front dévot.
J’adore le Christ-Roi dans son ciel d’améthyste,
Mais le doute tapi au fond de mon cerveau
Aiguise sa dent fine et mord mon âme triste.

La Terre grandiose est plus vieille cent fois
Que ne l’a dit Moïse assis sur l’aigle pâle ;
Pourtant, ô créateur, ô lumière idéale,
Je te sens bouillonner dans mon cœur plein d’émois. 

La vie de Jésus‑Christ, le seul sauveur des âmes,
Palpite tout entière aux mythes du démon.
L’étrange Nil la mélangeait à ses limons,
Le Gange illimité la murmure à ses brahmes.

Tous ces masques hagards, Orphée, Vishnou, Hermès,
S’hallucinent sous la stupeur de ma cervelle.
Pourtant le flamboiement des extases révèle
La face du Sauveur dans les cieux enflammés.

La science du siècle a dévoré mes nuits.
Qui me délivrera de ces farouches rêves ?
Comme sur un marais des bulles d’argent crèvent,
Dans mon esprit montent des songes inouïs.

Et la sombre origine effrayante de l’Homme !
Jardin invraisemblable et merveilleux des temps !
Ô sang maudit d’Adam sur nos fronts dégoûtants !
Je ne puis croire à ces fantastiques fantômes.

La sainte parenté joint l’homme à l’animal
Et les préhominiens hantent l’horreur des âges !
Du ventre de la Terre on sort d’âpres messages.
L’Homme-Singe surgit sous le scalpel fatal.

Des peuples primitifs reparaissent les traces
Où meurt sinistrement le paradis doré.
Pourtant la dignité suprême de nos races
Enivre et redéploie mon cœur désespéré.

Et le fourmillement des Sphères multiformes !
Les millions de vivants sur les mondes lointains,
Les faunes exaltées sous d’effarants matins,
Les reflux créateurs qui jamais ne s’endorment

Ces peuples ignorés ignorent Jésus‑Christ.
Et, bien que la splendeur des astres m’illumine,
Le Doute amer plonge en riant dans ma poitrine :
Le lucide Réel tue nos vieux manuscrits !

Ô l’Enfer ! L’infamie des sataniques trames !
Ô gouffre flamboyant qui dévore mes yeux !
Comment croire, ô douleur, comment croire que Dieu
Puisse être le bourreau éternel de nos âmes ?

Le doute noir, le doute aux feux ressuscités,
Siffle comme un serpent dans mes mornes entrailles.
Pourtant, sur le granit obscur de nos murailles,
Se lève le soleil des mystiques étés !

La vieille Bible avec ses phrases empourprées,
Ses mensonges tordus que la folie enfante,
La vieille Bible avec ses pages triomphantes
S’efface, par le vent des esprits déchirée.

Pourtant, je crois en vous, ô créateur immense !
Je crois en toi, Jésus aux larmes infinies,
Et toi, mon âme indissoluble, recommence
Sous les dogmes glacés ta brûlante agonie.

L’inflexible croyance et le doute indomptable
Se déchirent au fond de mes obscurs caveaux.
Agonise, ô mon âme, en ta sinistre étable :
Les cloches du couvent courbent mon front dévot.

François Brousse

Revue Sources Vives N°12, Perpignan, été 1959

Poème édité dans la revue Destins N°43, décembre 1949 (Noël 1949) sous le titre : « Le moine et le mystère »

 

Le moine en sueur

Les cloches du couvent courbent mon front dévot.
J’adore le Christ-Roi dans son ciel d’améthyste,
Mais le doute tapi au fond de mon cerveau
Aiguise sa dent fine et mord mon âme triste.

La Terre grandiose est plus vieille cent fois
Que ne l’a dit Moïse assis sur l’aigle pâle ;
Pourtant, ô créateur, ô lumière idéale,
Je te sens bouillonner dans mon cœur plein d’émois.

La vie de Jésus‑Christ, le seul sauveur des âmes,
Palpite tout entière aux mythes du démon.
L’étrange Nil la mélangeait à ses limons,
Le Gange illimité la murmure à ses brahmes.

Tous ces masques hagards, Orphée, Vishnou, Hermès,
S’hallucinent sous la stupeur de ma cervelle.
Pourtant le flamboiement des extases révèle
La face du Sauveur dans les cieux enflammés.

La science du siècle a dévoré mes nuits.
Qui me délivrera de ces farouches rêves ?
Comme sur un marais des bulles d’argent crèvent,
Dans mon esprit montent des songes inouïs.

Et la sombre origine effrayante de l’Homme !
Jardin invraisemblable et merveilleux des temps !
Ô sang maudit d’Adam sur nos fronts dégoûtants !
Je ne puis croire à ces fantastiques fantômes.

La sainte parenté joint l’homme à l’animal
Et les préhominiens hantent l’horreur des âges !
Du ventre de la Terre on sort d’âpres messages.
L’Homme-Singe surgit sous le scalpel fatal.

Des peuples primitifs reparaissent les traces
Où meurt sinistrement le paradis doré.
Pourtant la dignité suprême de nos races
Enivre et redéploie mon cœur désespéré.

Et le fourmillement des Sphères multiformes !
Les millions de vivants sur les mondes lointains,
Les faunes exaltées sous d’effarants matins,
Les reflux créateurs qui jamais ne s’endorment

Ces peuples ignorés ignorent Jésus‑Christ.
Et, bien que la splendeur des astres m’illumine,
Le Doute amer plonge en riant dans ma poitrine :
Le lucide Réel tue nos vieux manuscrits !

Ô l’Enfer ! L’infamie des sataniques trames !
Ô gouffre flamboyant qui dévore mes yeux !
Comment croire, ô douleur, comment croire que Dieu
Puisse être le bourreau éternel de nos âmes ?

Le doute noir, le doute aux feux ressuscités,
Siffle comme un serpent dans mes mornes entrailles.
Pourtant, sur le granit obscur de nos murailles,
Se lève le soleil des mystiques étés !

La vieille Bible avec ses phrases empourprées,
Ses mensonges tordus que la folie enfante,
La vieille Bible avec ses pages triomphantes
S’efface, par le vent des esprits déchirée.

Pourtant, je crois en vous, ô créateur immense !
Je crois en toi, Jésus aux larmes infinies,
Et toi, mon âme indissoluble, recommence
Sous les dogmes glacés ta brûlante agonie.

L’inflexible croyance et le doute indomptable
Se déchirent au fond de mes obscurs caveaux.
Agonise, ô mon âme, en ta sinistre étable :
Les cloches du couvent courbent mon front dévot.

François Brousse

Revue Sources Vives N°12, Perpignan, été 1959

Poème édité dans la revue Destins N°43, décembre 1949 (Noël 1949) sous le titre : « Le moine et le mystère »

Table des matières

Sources Vives N°12

Comité d’honneur – Conseillers aux arts – Comité de rédaction

« Jean Rostand (de l’Académie Française) » – Article de René Espeut

« Maître André Peus – directeur du Conservatoire – a reçu le ténor Miguel Prima » – Article de René Espeut

 « Le moine en sueur » – Poème de François Brousse

« Le songe » – Poème de René Espeut, dédié aux cendres mélodieuses du poète Albert Janicot, amant de la chimère

« Le néant » – Poème de Clémence Beringuier, dédié à René Espeut – Réplique à « Songe »

« Évasion » – Poème de Clémence Beringuier

« Poème à ton amitié » – Poème de Michel Bohn

« L’Aïeule » – Article de Joseph Ribas

« Nos deuils : André Siegfried n’est plus »

Pour des Amis sportifs – Amusement poétique de Léon Bizebard

Sources Vives – Extraits des statuts

« L’étang » – Tableau d’Eugène Schmidt