Revue Sources Vives N°13

Perpignan, automne 1959

Errances

Le ciel est un triangle immense,
Les yeux s’étoilent de points d’or,
La rosée perle sa romance
Aux blés pesants de Messidor.

Comme un visage sans paroles
La lune rêve sur les pics
Une jonquille aux cent corolles
Etouffe le cri des aspics.

Le dessin multiple des vagues
Évoque les bleus voyageurs.
Dans les écumes, tu divagues,
Orient fardé de rougeurs !

L’heure sur son trône d’albâtre
Déroule ses cheveux d’encens.
En vain les ombres viennent battre
Ses pieds pâles d’adolescent.

D’un balcon ouvert sur l’abîme
Tombent des vignes de chansons
Qui tordent leurs vrilles sublimes
Où, candides, nous nous glissons. 

Fruits du ciel, oranges du rêve,
Nous goûtons vos baisers charnels
Les oiseaux marquettent les grèves
Avant de fuir vers l’éternel !

François Brousse

Revue Sources Vives N°13, Perpignan, automne 1959

L’Éternel Reflet, dans Œuvres poétiques t. I, Clamart, Éd. La Licorne Ailée, 1986, p. 453

Errances

Le ciel est un triangle immense,
Les yeux s’étoilent de points d’or,
La rosée perle sa romance
Aux blés pesants de Messidor.

Comme un visage sans paroles
La lune rêve sur les pics
Une jonquille aux cent corolles
Etouffe le cri des aspics.

Le dessin multiple des vagues
Évoque les bleus voyageurs.
Dans les écumes, tu divagues,
Orient fardé de rougeurs !

L’heure sur son trône d’albâtre
Déroule ses cheveux d’encens.
En vain les ombres viennent battre
Ses pieds pâles d’adolescent.

D’un balcon ouvert sur l’abîme
Tombent des vignes de chansons
Qui tordent leurs vrilles sublimes
Où, candides, nous nous glissons.

Fruits du ciel, oranges du rêve,
Nous goûtons vos baisers charnels
Les oiseaux marquettent les grèves
Avant de fuir vers l’éternel !

François Brousse

Revue Sources Vives N°13, Perpignan, automne 1959

L’Éternel Reflet, dans Œuvres poétiques t. I, Clamart, Éd. La Licorne Ailée, 1986, p. 453

 

« Ézéchiel, mage chaldéen »

Article de René Espeut

Comme le prisme décompose la lumière pour nous montrer qu’elle est ­tissée des sept couleurs de l’arc‑en‑ciel, François Brousse, exégète, philosophe et penseur, a projeté sur le vélin les feux du mage Ezéchiel, vus à travers la gemme d’un kabbaliste.

Et, tel Sardanapale le monde au‑dedans d’une topaze, l’auteur a pu traduire, sous un aspect inattendu et vrai, le message d’un des prophètes les plus énigmatiques de l’Ancien Testament.

Ézéchiel, mage chaldéen (1) est la thèse d’un ésotériste voué aux arcanes des hautes sciences kabballistiques. Et la traduction claire d’un texte, originel intentionnellement obscur sur lequel ont buté tant de littéra­teurs et de théologiens, resterait l’intérêt majeur du livre de François Brous­se, si l’auteur des Pèlerins de la nuit n’avait apporté dans cet ouvrage les qualités d’un commentateur subtil et qui ne peut se défendre d’être, par-dessus tout, un authentique poète.

François Brousse possède en effet une faculté rarissime, inhérente à son beau talent de prosateur et de conférencier : celle d’exprimer, en un langage limpide aux mailles de lumière, les plus sombres abstractions de l’esprit humain.

Pour l’esthète de la forme, Ézéchiel, mage chaldéen est un pur enchantement, et l’on se prend à se demander, en dernière analyse, lequel des deux est le vrai mage, d’Ézéchiel ou de son traducteur.

De cette brillante facture, François Brousse nous avait déjà donné un aperçu dans « Jésus le Nazoréen » où le divin initié des bords du Lac de Tibériade nous apparut sous un jour si nouveau.

C’est d’ailleurs ce même thème que l’auteur reprend au terme d’Ézéchiel. Daniel Rops a placé Jésus en son temps. François Brousse le place dans son milieu. Et le milieu où vécut Jésus est un milieu baigné d’ésotérisme, la seule science qui forme les géants de l’esprit, celle qui soulève les montagnes et que nous retrouvons, à propos d’Ézéchiel, dans les riches tableaux que le poète nous offre de Jésus, de Plotin, de Manès ou d’Apollonius de Tyane, successeur d’Eschmoun.

Pour dépeindre le doux visage du Fils de l’Homme, la plume de Fran­çois Brousse devient la palette d’un maître de la Renaissance. Le chapitre contenant Jésus est, à nos yeux, la page la plus belle de cette œuvre dont la stylistique scintillante a séduit, avec Antoine Orliac, les notoriétés les plus délicates de notre littérature contemporaine. Nous avons été conquis par les richesses qui se dégagent de cette apparente simplicité :

Jésus naquit à Bethléem, sous le roi Hérode, en l’année 12 avant l’ère chrétienne, tandis que l’étoile des mages, autrement dit la comète de Halley, emplissait les cieux de sa splendeur sauvage.

Trois prêtres du feu, trois mages venus de la Perse lointaine, reconnurent en lui l’incarnation de Zoroastre, et lui offrirent l’or, l’encens et la myrrhe, symboles de la sagesse, de l’amour et la puissance.

Nous n’essaierons pas de commenter ces quelques lignes. Nous laissons aux héros des Mille et une Nuits le soin d’enfermer les colosses dans le col étroit d’une urne d’Orient.

Comme tous les grands penseurs, François Brousse aboutit à une prodigieuse condensation d’idées et d’images. Son œuvre n’est pas un fragile palais de verroterie, mais un seul diamant d’un prix inestimable.

De nombreuses thèses, harmonieusement fondues, s’imposent aux lec­teurs d’Ézéchiel, mage chaldéen . Ce livre de soixante pages est un univers de pensées. Tantôt le poète, du fond de la poussière des siècles, exhume des titans rayonnants de gloire et de génie ; tantôt, puissant occul­tiste, il dévoile les liens mystérieux qui unissent les pierres précieuses aux signes du zodiaque, aux nations, aux prophètes.

L’énigme du Sphinx, François Brousse l’éclaire avec l’autorité d’un hié­rophante égyptien et la finesse d’un disciple de Platon.

Ce qui nous frappe, c’est la dialectique redoutable qui jaillit, flèche vivante, de l’arc sonore tendu par cet admirable artiste.

S’appuyant sur des textes incontestables, il démontre qu’Ézéchiel a prédit la destruction de Tyr et la conquête de l’Égypte par Nabuchodonosor. Malheureusement, l’histoire, impartiale et terrible, nous affirme que Tyr ne fut pas détruite par Nabuchodonosor, ni l’Égypte conquise. Ces deux événements survinrent, mais plus tard. Cam­byse, roi des Perses, conquit l’Égypte ; Alexandre le Grand, roi de Macé­doine, détruisit Tyr.

Impitoyable dialecticien, François Brousse nous enferme dans ce dilemme : ou bien Ézéchiel s’est trompé et – dans ce cas – toute l’inspiration divine de la Bible s’écroule ; ou bien il a vu juste, mais alors ses prophéties ne peuvent s’expliquer qu’à l’aide de la théorie des réincarnations, clefs secrètes de la Kabbale.

Ce dilemme brutal oblige les croyants à élargir leur horizon jusqu’aux limites des lois cosmiques. Il nous évoque l’intransigeante rigueur de Descartes et toute l’ampleur de Bergson.

Dans Ézéchiel mage chaldéen, François Brousse, déchirant le triple voile d’Isis, met son lecteur en contact direct avec les profondeurs du pro­phète initié qui – comme tel et parce que tel – traduisait sa pensée en langage sacré, le troisième sens hiéroglyphique : l’analogie.

Fallait‑il encore considérer la nature du prophète lui-même avant de se prononcer sur la qualité de ses inspirations. L’auteur précise :

Tout prophète renferme en soi un homme passionnel et un inspiré. L’homme passionnel apporte un flot bourbeux d’erreur ; l’inspiré aspire une lumière de vérité.

Boue et lumière se mélangeant forment la personnalité du prophète, avec ses outrances et ses révélations. Si le prophète arrivait à supprimer l’homme passionnel, une splendeur parfaite l’envelopperait de ses radiations sublimes. Phénomène extraordinairement rare.

Habituelle­ment, ombre et clarté s’entrelacent dans le cœur des voyants. Il s’établit ainsi une hiérarchie suivant les propositions de l’élément divin et de l’élément terrestre. Le grand prophète est celui qui contient un quart de ténèbres pour trois quarts de rayons. (François Brousse, Ézéchiel, mage chaldéen)

De tout temps, avec des fortunes diverses, théologiens, philosophes et littérateurs se sont penchés sur les textes bibliques.

Aux yeux du croyant – qui juge pourtant sur la lettre – la Bible apparaît comme la vérité des vérités. Au regard de l’historien rationaliste, le Livre des livres n’est qu’une rhapsodie célébrant les tendances d’un peuple hautain et qui ne craignait pas le ridicule de se proclamer l’Élu de Dieu, père de tous les êtres ! Un mauvais manuel d’histoire, si nous voulions résumer Voltaire.

Mais au‑dessus des railleries philosophiques, au‑delà de l’extase béate d’un Témoin de Jéhovah, se situe l’apercevance du sens cryptique des versets, le vrai sens et le vrai message biblique, celui‑là même que Pascal entrevoit dans ses Pensées et que François Brousse, l’un des plus intuitifs kabbalistes des temps modernes au rapport de ses pairs, nous traduit par les enchantements de son luth aux cordes d’or.

BROUSSE François, Ezéchiel, mage chaldéen, Perpignan, Imp. Viers, 1955 (Réédité dans Les Secrets kabbalistiques de la Bible, Clamart, Éd. La Licorne Ailée, 1987)

René Espeut

Revue Sources Vives N°13, Perpignan, automne 1959 

Table des matières

Sources Vives N°13

Comité d’honneur – Conseillers aux arts – Comité de rédaction

Ézéchiel, mage chaldéen – Article de René Espeut

« Yvonne Boachon-Joffre publie Les Griffes du destin – Avec préface de J. Chastenet, de l’Académie Française » – Article de René Espeut

« Le tombeau d’Albert » – Poème de François Brousse

« Errances » – Poème de François Brousse

« Harmoniques » – Poème de Clémence Beringuier

« Les Jonquilles » – Poème de Clémence Beringuier

« Ce qui n’est pas offert » – Poème de Clémence Beringuier

« Messe du soir » – Poème de Guillot de Saix

« L’étang » – Tableau d’Eugène Schmidt

« Le peintre Eugène Schmidt » – Article de R. E (René Espeut ?)

« La tombe d’Albert Janicot » (Photo + Légende)

Le troubadour Albert Janicot – Article de S. V.

« Nuit d’été » – Poème d’Albert Maissonnier

Sources Vives – Extraits des statuts