Revue Madeloc N°49

« François Brousse, poète ésotérique, sait aussi être parmi nous ! »

Article de Claude-Lucien Barriot (Extraits)

Quelques poèmes d’un François Brousse inconnu, je dirai plutôt oublié, me sont tombés sous les yeux ; les voici tels quels dans leur premier éclat, empreints d’une certaine « énigmatique » et glaciale rancœur :

Depuis quarante années, mendiant de la gloire,
Je vais tendant la main aux passants de l’azur
Aux fleuves triomphants mes lèvres n’ont pu boire
Pourtant brille à mon front la tiare d’Assur.

Mes frères les humains n’ont pas compris mon âme
Le collier de mes chants flamboie dans l’ignoré.
Qu’importe ! en ma poitrine une profonde flamme
Monte éternellement vers les astres sacrés.

Comment resterions-nous insensibles devant l’iné­galable douleur de tels vers, devant le cri déchirant et le ton d’un tel poète ?…

Je n’ose souscrire pour ma part, à la réelle portée du premier de ces vers. Je ne pense pas et je n’ose croire que notre poète soit à la recherche de cette menue gloriole que l’on nomme aussi vanité. La forme, certes, en est poétique, seul pour nous le cri nous transporte et nous émeut, et c’est pourquoi il complétera sa pensée ailleurs :

Nous sommes les errants de la mer, nos fronts ten­dent
Vers Marseille la blonde où la brumeuse Ostende
Mais par un châtiment éternel flagellés,
Nous gémissons sans fin sous les cieux étoilés.

Épaves, nous tournons comme des fous en cage
Dans le cercle des mers, sous le cercle des morts
Le loup des infinis aux poils d’argent nous mord
Et des gamins d’éclairs nous narguent dans l’orage.

Et là, je veux bien le suivre, car Brousse enchaîne à l’instar de nous tous. Il cherche ce que tous les hom­mes de toutes parts et de tous temps ont voulu nommer leur bonheur, la vérité.

L’homme est bien ce pauvre hère qui semble « éjecté » d’on ne sait quelle mystérieuse planète plus heureuse, car dans celle-ci, il semble bien mal en point, torturé sans cesse, vic­time de mille souffrances et, ce qui est plus horrible, hélas, borné dans son esprit, tiraillé, martyrisé.

Le poète nous le dira dans un poème intitulé L’Emmuré.

Ô malédiction de vivre
Lassitude de souffrir,
Rien n’est beau, rien ne m’enivre,
L’univers semble mourir.

Une 1angeur infinie
Tombe des étoiles d’or
Ô l’atroce symphonie
Du silence et de la Mort !

Comme je voudrais m’étendre
Dans le noir du puits total !
Je voudrais ne plus entendre
Le monde, ce dieu du mal.

[…] François Brousse sent bien qu’il n’est pas encore parvenu aux termes de son long voyage : […]

Fils d’un soleil magique où tout se transfigure
J’ai contemplé, dans l’Inde, au fond des siècles noirs,
Les races soulevées de mystiques espoirs.

[…]

François Brousse se hausse au plus haut rang des poètes imbus d’ésotérisme et d’hindouisme. Les amours de Rama et de Sita dans Rama aux yeux de lotus une fois encore nous le prouvent malgré une rhétorique plus serrée en fonction du Verbe. Mais la terza-rima choisie en l’occurrence s’échappe de son corset trop étroit pour demeurer cependant gracieuse et légère. Ce qu’il ressent, nous dit-il, n’est qu’une parcelle de la divine immortalité dont nous dépen­dons ; il essaie de nous en communiquer l’étincelle car le rôle du poète en ce monde est d’établir ce contact et de nous le révéler. Auréolé de cette trans­parence miraculeuse et de ce luminescent pouvoir.

Pareil aux archanges lunaires
Sous huit ailes criblées d’astres myriadaires
Il brandit le lotus christique de Merlin.

[…]

En définitive, François Brousse, que d’aucuns nous présentent toujours hors de notre planète, est en réalité bien des nôtres.

Il est sur cette terre comme vous et moi, méditatif certes, poète inspiré, il n’en résulte pas moins et je viens de le prouver que ce poète est bel et bien bâti de notre plus pur limon : blotti comme vous dans sa chair, entre ciel et terre et quelle terre ?… Un Roussillon sans pareil.  […]

Claude-Lucien Barriot
Membre du syndicat des journalistes et écrivains

Revue Madeloc N°49, Perpignan, novembre-décembre 1956