Simon le Mage

Samarie (Israël actuelle) – Mort probablement à Rome au Ier siècle

 

 

Simon le Mage a été affreusement calomnié par les chrétiens. Il a vécu à la même époque que Jésus le Nazoréen et se présentait comme « la Vertu de Dieu ». Il répandait d’effrayants miracles, tous plus étonnants les uns que les autres, ce qui fait qu’on l’a parfois confondu avec saint Paul. Certains ont prétendu qu’il n’existait pas. Mais le témoignage d’Abdias nous permet d’affirmer authentiquement son existence. Il a laissé un évangile, le premier sans doute des évangiles connus, qui parle de la descente de l’Esprit divin dans un corps terrestre. Quand je dis le premier évangile connu, non, parce qu’il est inconnu. On sait que Simon prétendait avoir rencontré la Sagesse parfaite, Epinoïa, et qu’il l’avait retrouvée au fond d’un bouge de Tyr, c’était Hélène. Lors de l’union de la Sagesse parfaite et de la Vertu de Dieu, c’est‑a‑dire Hélène et Simon le Mage, une extraordinaire clarté se serait répandue sur l’univers.

François Brousse
L’Évangile de Philippe de Lyon, Clamart, Éd. La Licorne Ailée, 1994, p. 15

SIMON LE MAGICIEN


Simon le Magicien fut un des esprits les plus curieux et les plus vastes de l’Antiquité.

Les apôtres le combattirent, à cause de sa morale soulevée d’une indifférence pré‑nietzschéenne ; car sa métaphysique déploie une étonnante complexité d’arcades et de coupoles, dorées par le soleil de l’intelligence.

Simon nous présente un visage magnifique et terrible, où deux yeux illuminés surmontent un impitoyable sourire. Espèce de gnostique démoniaque, il forme comme la synthèse du cerveau de Bergson et du cœur de Nietzsche.

Sa théogonie ? Merveilleuse, simplement. À l’origine de tout existe Dieu, qui est à la fois l’Absolu et le Feu‑Principe. De sa parfaite intelligence émane le Père ou le Silence, pouvoir mâle et femelle comme Dieu. Le Père, à son tour, engendre Épinoïa, la Pensée rayonnante, qui joue un rôle immense, comme nous allons le voir, dans l’univers simonien.

La Pensée est la mère des Anges qui ordonnèrent le monde inférieur, la sphère où vivent plantes, animaux et humains.

Ces anges, par orgueil, se révoltèrent contre la Pensée et l’enchaînèrent. Puis, ils l’emprisonnèrent dans un corps humain. Suprême outrage. Et la malheureuse Épinoïa, depuis l’origine de l’humanité, transmigre d’organisme en organisme. Elle fut cette fameuse Hélène dont la beauté coûta tant de larmes aux Grecs et aux Troyens.

Mais la fureur des Anges la poursuivait toujours. Implacables bourreaux, ils réussirent à l’enfermer dans le corps d’une prostituée tyrienne. Épinoïa toucha le fond de sa misère cosmique. Sa délivrance était proche.

Le Père eut pitié d’Épinoïa ; il eut pitié aussi des hommes, ces enfants maudits des Anges. Il voulut briser la tyrannie des puissances inférieures. Il enfanta, donc, un Sauveur pour libérer l’homme et la Pensée divine. Ce Sauveur prit la forme humaine du sage Simon. Par ce pur sacrifice, il délivra l’humanité enchaînée. Et il se mit à la recherche de la Pensée divine, qu’il trouva dans les lieux infâmes de Tyr et dont il fit son épouse.

Le mariage du Sauveur et de la Pensée divine brise définitivement la tyrannie des Anges.

Simon, à la suite sans doute d’une prodigieuse expérience mystique, se prenait pour une puissance éternelle. Il disait que les prophètes avaient annoncé sa venue triomphante. Il disait que la Trinité vivait en lui, se manifestant aux samaritains comme Père, aux israélites comme Fils, aux païens comme Saint‑Esprit. De fait, ses contemporains, éblouis par ses prestiges magiques, le surnommèrent « La Grande Vertu de Dieu » (1). C’est le Nouveau Testament, lui-­même, qui nous l’apprend.

La doctrine simonienne est d’une extraordinaire grandeur. On y trouve les vérités essentielles : l’Absolu, le Feu‑Principe, l’Émanation, la Pensée divine, les Anges ordonnateurs du Monde, la Révolte des Anges, la Rédemption. Simon y ajoute le merveilleux roman métaphysique d’Épinoïa, de l’Hélène céleste, de la pure prisonnière, de la grande torturée que délivre l’amour du Sauveur. Simon touche ainsi à l’un des mystères les plus profonds de l’être, aux unions séraphiques, à l’Androgyne reconstitué. Simon le Magicien mériterait presque d’être appelé Simon le Mage.

Mais il y a un point noir. Sa morale. Il suffit, pour être sauvé, de croire au mariage divin de Simon et d’Hélène. Par suite, les obligations sociales et morales n’ont plus qu’une importance infime. Mieux, comme elles découlent de la loi du monde, elles font partie de cette tyrannie angélique qu’a brisée le Sauveur. Le mépris de la loi est donc la condition nécessaire du salut. Simon, gigantesque iconoclaste, porte son marteau sur les dieux qui parfument la cité humaine. Il se place très exactement au‑delà du Bien et du Mal. Devant cette formidable entreprise de démolition, Nietzsche lui­-même est petit.

Carpocras, dont les Pères de l’Église dénoncent inlassablement l’hérésie dissolvante, n’est sur ce point que le disciple du grand Simon.

Certains taoïstes décrivent le monde comme une énorme roue toujours en mouvement. Le Bien est à droite, le Mal est à gauche. Mais, puisque la roue tourne, le Bien devient le Mal, le Mal devient le Bien. Le vrai sage, dédaignant ces apparences éphémères, s’assied solidement sur le centre immobile de la roue, sur le royaume de l’indifférence morale. Là, sur son trône éternel, il goûte pleinement la doctrine parfaite.

Doctrine terrible en réalité. Elle forme la source brûlante du satanisme. Elle jaillit avec un incroyable élan d’orgueil et de force. Elle abreuve les erreurs primordiales, les révoltes démesurées. Les tempêtes qui serpentent dans ses flots de feu sont capables de dissoudre les univers.

Toutefois, un reflet d’incontestable grandeur y rayonne. Au fond palpite le désir des libérations éternelles. L’âme qui se sent infinie ne peut admettre d’entraves extérieures. Elle broie tout comme un géant qui se dresse.

Mais, derrière les fausses morales humaines plane la Morale divine, faite d’amour, d’intuition et de volonté. L’âme doit épanouir la Trinité céleste dont elle porte le germe. S’il est bien de se révolter contre les fausses chaînes qui lient nos ailes, il est stupide de jeter avec dédain le triple diamant de notre couronne.          

Simon a pourtant commis cette erreur. Et cela suffit pour obscurcir son surprenant visage de prophète. Il reste immense malgré tout. Et l’on comprend l’inquiétude des apôtres devant ce monstre double, si grandiose et si dangereux. Simon est la chimère du génie humain.

François Brousse
« Simon le Magicien » (Article intégral),
Dans la Lumière ésotérique, Clamart, Éd. La Licorne Ailée, 1999, p. 161-164

Simon le Mage et Simon-Pierre

Simon était un homme plein d’imagination et un médium plein de génie. Il avait d’abord commencé par avoir toute une série de visions. Dans cette vision, il s’était constitué comme la grande puissance de Dieu, la vertu suprême de Dieu ; il était, selon lui, l’incarnation de la puissance divine et, appartenant à une secte gnostique, il cherchait la syzygie, c’est-à-dire l’androgyne, la moitié divine qui devait être en quelque sorte le complément de son être divin. Il l’a trouvée. Il a fait l’emplette, comme dit Éliphas Lévi, d’une esclave qu’il a trouvée à Tyr ; cette esclave, appelée Hélène, dansait au son d’une lyre étrange pour divertir les matelots ; elle était en réalité Enoïa, la pensée divine. Telle était, du moins, la théorie de Simon, qui l’a arrachée du milieu dans lequel elle vivotait et qui lui a révélé sa dignité divine ; ensuite, a eu lieu l’étreinte entre Enoïa, la pensée divine, et Simon, la grande vertu de Dieu.

Toujours d’après Simon, cette étreinte sauva le monde, car, selon lui, le monde était partagé entre deux forces antagonistes, précisément à la suite d’une longue aventure ; dans le monde supérieur, la pensée divine, Enoïa, a voulu se libérer de la vertu divine, c’est-à-dire Simon ; elle a alors donné naissance aux anges qui se sont révoltés contre elle, pour l’enfermer dans un corps humain. Elle commençait à être sur le plan supérieur de la Lune, car elle était la déesse de la Lune.

Ensuite, elle s’est incarnée en Hélène de Troie, puis elle a été Lucrèce dont le viol causa la chute de la royauté à Rome ; après de nombreuses pérégrinations, elle est devenue Hélène de Tyr, et, étant retrouvée par la grande puissance de Dieu, l’union de la pensée divine et de la vigueur éternelle aboutit à reconstituer le monde qui était jusqu’alors disloqué, et à vaincre la révolte des anges. Si nous en croyons Simon, grâce aux unions mystiques et physiques qu’il a eues avec Hélène, ce fut l’union du soleil, dont il était l’âme, et de la lune dont Hélène, qu’il appelait Séléné, était l’esprit. L’union des dieux a permis au monde d’être sauvé ; il serait donc sauvé par l’amour. La théorie ne manquait pas de profondeur.

Ce fut un des premiers à mettre en avant l’idée de l’androgynat, un des premiers car cela existait déjà dans Platon ; mais c’est le premier sur le plan chrétien ; il prétendait que chaque être avait un double divin qu’on devait retrouver. Quand l’homme et la femme, les deux moitiés de Dieu, se retrouvaient enfin, la chaîne des réincarnations était brisée et l’androgyne nouvellement créé rentrait dans l’abîme infini d’où il ne ressortait plus. Simon était en quelque sorte la semence des futurs androgynes qui devraient délivrer le monde de son péché originel et de son affrontement permanent entre le Yang et le Yin, entre l’homme et la femme, pour aboutir à l’androgynat parfait. Ses théories ne manquaient ni de grandeur, ni de subtilité ; elle convainquirent singulièrement une quantité de gens.

Mais il arriva à ce malheureux Simon une aventure désagréable, car il rencontra les apôtres saint Pierre et saint Philippe. Les apôtres répandaient l’idée de Jésus, personnage dont Simon n’avait jamais entendu parler ; non seulement, ils parlaient de Jésus, mais par leur prestige primitif, ils tarirent momentanément la source des miracles de Simon le Mage. Vous allez voir cependant ses miracles allaient être extraordinaires. Le malheureux, dépouillé d’énergie et de force, se demanda ce qui lui arrivait ; il s’attacha aux pas de saint Pierre [Simon-Pierre] et lui demanda son secret contre espèces sonnantes et trébuchantes. Saint Pierre refusa avec indignation ; c’est ce qu’on appelle d’ailleurs la simonie, c’est de Simon le Mage que vient ce mot. Furieux, Simon brise avec saint Pierre et reprend Hélène avec laquelle il recommence ses enchantements et ses extases à tel point que sa renommée grandit de plus en plus dans le monde pour arriver enfin aux oreilles de Néron, un prince assez curieux, lettré, dangereux, cruel et intelligent, qui était très fasciné par les miracles des uns et des autres. Il exige que Simon lui soit présenté ; Simon ne pouvait pas se dérober ; il se présente devant Néron, et à ce moment arrive saint Pierre qui se croyait missionné à briser l’hérésie de Simon. On peut remarquer que Simon Pierre et Simon le Mage ont le même nom ! On a pu parler peut-être d’une véritable assimilation entre les deux.

D’après les légendes qui datent du premier siècle, il y eut un terrible affrontement entre Simon le Magicien et un certain saint Pierre ; on ne sait pas très bien comment cet affrontement se termina. Saint Pierre envoya d’abord son chien faire ses compliments en latin à Néron qui apprécia le tour de magie à sa juste valeur ; Simon ne se démonta pas pour si peu, et il envoya son chien faire des compliments en grec à Néron, ravi, car le grec était sa langue préférée. Après quoi, Simon déclara : « Je suis aussi génial, aussi initié, aussi divin, moi, la grande vertu de Dieu, que Jésus-Christ qui se prétend le fils de Dieu, et je vais vous le démontrer ; vous allez me couper la tête et je ressusciterai. » Un bourreau coupa proprement la tête de Simon ; la tête qui tomba à terre était celle d’un bélier, et Simon, tout gaillard, avec sa tête d’homme sur les épaules, vint saluer triomphalement Néron qui apprécia hautement le tour de Simon. Néron demanda à saint Pierre s’il pouvait en faire autant. Saint Pierre était en train de prier, et déclara : « Non, je prie, moi, je ne suis rien, je prie Dieu pour que Simon soit sauvé. » Simon s’adressa à Pierre : « Es-tu capable de faire cela ? » Et il s’élève dans les airs, en une magnifique lévitation. Et Éliphas Lévi, racontant le fait, suggère qu’il avait peut-être une machine hydrostatique sous les vêtements ; cette explication me paraît singulièrement ridicule, mais amusante ; ou bien, dit-il, il était environné de la puissance astrale qui était capable de vaincre effectivement la pesanteur ; cette explication est beaucoup mieux.

Saint Pierre priait, priait, priait ; alors conclusion, le malheureux Simon qui volait dans les airs se sentit brusquement abandonné par les ailes invisibles qui le soulevaient et il tomba d’un bloc juste devant saint Pierre, ses deux jambes furent cassées dans cette chute ; puis on ne sait plus trop bien ce qui s’est passé ; mais Néron, mécontent qu’on ait abîmé son magicien préféré, fit crucifier saint Pierre la tête en bas. C’est possible. Puis, selon certaines traditions, il semble que l’on ait jeté le corps de saint Pierre dans l’ossuaire des esclaves ; un personnage vint réclamer le corps ; ce personnage ressemblait curieusement à saint Pierre ; c’était Simon qui prit le cadavre de saint Pierre pour lui donner une sépulture digne de lui. Nous ne savons rien, nous savons simplement que Simon pouvait prendre l’apparence qu’il voulait ; il pouvait par conséquent ressembler à saint Pierre si cela lui plaisait ou ressembler à Néron. On ne sait plus ce qu’il advint de Simon.

François Brousse
Conférence « Les mystères du christianisme primitif », Paris, 6 mai 1986

Un astre avorté

Il y a des missions de grands maîtres à demi avor­tées. Ainsi, nous pouvons évoquer la figure fascinante et obscure de Simon le Mage. Certains même niaient son existence et affirmaient qu’il était simplement le masque de saint Paul ridiculisé par la jalousie des autres apôtres. En réalité, Simon le Mage a bien existé. Malheureusement, il n’a jamais pu accomplir sa haute mission. Il est un astre avorté à l’encontre du maître Apollonius de Tyane qui vivait à la même époque que lui. Il est, peut‑être, assez normal qu’un siècle après la mort du grand magicien soit venu un génie inattendu qui s’appelait Siméon Bar Yokaï qui a créé la Kabbale, terminant et purifiant ainsi l’œuvre de Simon le Mage.

François Brousse
L’Évangile de Philippe de Lyon, 1992, Clamart, Éd. La Licorne Ailée, 1994, p. 247-248

L’Avatar

C’est un principe très connu des Hindous, et peu du monde occidental, que l’apparition d’un maître, n’est jamais unique. Ce n’est pas un maître qui apparaît mais cinq. Comme les théologiens ignorent cette vérité fondamentale, ils s’enferment étroitement dans une seule image. À l’époque de Jésus brillaient au moins cinq surhommes et Jésus n’était que l’un d’entre eux. À côté de lui se dressaient Apollonius de Tyane, Simon le Mage, le sep­tième Hermès et Patanjali. Il faudrait donc faire une synthèse éblouissante de ces cinq couleurs pour aboutir au véritable message de l’ère du Poisson. Comme on a mutilé cette ère en se prosternant devant le seul Nazaréen, ce fut un âge d’effroi, d’épouvante et d’hor­reur mais qui sera malheureusement surpassée par la période dans laquelle nous sommes entrés depuis 1793 : le Verseau annoncé par une multitude de pro­phètes doit aboutir à la cavalcade des chevaux de l’Apocalypse et à la destruction de l’humanité. (POST ?)

François Brousse
L’Évangile de Philippe de Lyon, 1994, p. 389

Cinq ou sept visages

La Vérité est un diamant à mille facettes. En dévoilant plusieurs aspects d’une même connaissance, on paraît se contredire, on ne fait que se compléter ! L’absurde lui‑même, est la prise de conscience d’une réalité qui dépasse notre entendement rationnel.

Quant au fond de mes affirmations, c’est‑à‑dire la multi­plicité des visages d’un même avatar, il reste inébranlable à travers les siècles. L’Avatar du Christ, par exemple, a pris les visages des trois Jésus (encore une révélation perturbatrice !), plus celui d’Apollonius de Tyane et de Patanjali ; on pourrait y ajouter encore Simon le Sage et le septième Hermès.

François Brousse
Revue BMP N°19, janv. 1985


Simon le Mage

 

Petrus et le mage Simon

Pour transformer les tabernacles

Se battent à coups de miracles

Sous les yeux fauves de Néron.

 

Le mage, d’abord mis à mort,

A ressuscité plein de gloire

Et pour compléter sa victoire

S’est envolé comme un condor.

 

Mais les prières de l’apôtre

Ont fait tomber du firmament

Le redoutable nécromant,

Sombre pouvoir des patenôtres

 

Néron arbitrant le combat

A fait crucifier saint Pierre

Le sexe en haut, la tête en bas

Ô fantaisie aventurière !

 

Mais depuis lors nous réclamons

Au nom des forces idéales

Le remembrement de Simon

Et son cœur parmi les étoiles.

11 juillet 1993

François Brousse
L’Homme aux semelles de tempête, Clamart, Éd. la Licorne Ailée, 1995, p. 112

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