L’éternité
Je ne crois pas à la petitesse des hommes de génie. Quand on s’approche de ces volcans, Dante, Goethe ou Hugo, le cœur s’échauffe à leur brasier de tendresse et de sublimité. Ils laissent le fiel aux critiques pygmées. Les fils de l’éternité vivent dans le grandiose.
François Brousse
Revue BMP, N°51, nov. 1987
L’Éternité, ni étendue ni mobilité ni pesanteur. L’Éternité, androgyne primordial. L’androgyne primordial se brise en deux immenses pouvoirs : le dieu Temps et la déesse Espace. Ils se ressemblent par le manque de pesanteur. Ils se heurtent et se complètent par leurs qualités opposées.
Le Temps, inétendu, mais mobile. L’Espace, immobile, mais étendu. Le Temps, mobilité pure. L’Espace, étendue pure. Ils s’épousent grandiosement dans l’Illimité. Des enfants naissent de cet hymen prodigieux. Des enfants qui unissent les qualités du père à celles de la mère, des enfants doués de mobilité et d’étendue, des atomes d’énergie. Leur nombre infini reflète l’infini du Temps et de l’Espace. Les uns possèdent une force attractive, les autres une force répulsive, les uns une force tourbillonnante, les autres une force d’inertie.
Du chaos de ces atomes d’énergie, les mondes émanent : substances étendues, mobiles, pesantes, engendrées par l’Éternité.
François Brousse
Revue BMP, N°70-71, sept.-oct. 1989
L’infini du monde nous donne une sorte de sérénité accablante. Tous ces chefs orgueilleux, tous ces empires dévastateurs, disparaîtront dans la mort. Ils iront rejoindre les grands cadavres naufragés dans les siècles abolis.
L’humanité, elle-même, se couchera dans le tombeau des espèces mortes. Et la Terre, ce grain de poussière ? Elle se dissoudra comme une bulle sur l’immensité des mers. Et le Soleil s’éteindra comme une bougie consumée. Mais direz‑vous, ces grandes transformations demanderont des millions de siècles !
Des millions de siècles ? Une seconde pour l’éternité.
François Brousse
Revue BMP, N°98, mars 1992
L’hindou a devant la mort plus de sérénité que le chrétien.
Ce dernier garde toujours au fond du cœur l’effrayante appréhension du châtiment éternel.
L’hindou, éclairé par la haute sagesse orientale, sait que, de toute façon, les châtiments sont passagers. Il sait aussi que son âme éternelle retrouvera, tôt ou tard, le Bonheur infini. Un espoir invincible brille en son être, comme les perles dans les profondeurs de la mer.
François Brousse
Revue BMP, N°158-159, oct.-nov. 1997
Si l’homme jamais conquiert le joyau inestimable de la Vérité totale, il lui restera l’ivresse d’en jouir éternellement. Car pour jouir de l’infini, il faut l’éternité.
François Brousse
Revue BMP, N°198 à 202, mars-juill. 2001
Les poètes, comme les dieux d’Épicure, formés d’atomes éternels et subtils, vivent joyeux dans les intermondes.
François Brousse
Revue BMP, N° 86, févr. 1991
Dernier poème de François Brousse
avant son décès
J’ai traversé les sept cités
La cité de l’inconscience
La cité de l’inconnu
La cité de l’imperfection
La cité de la lumière
La cité du désir
La cité de l’aventure,
Et maintenant j’explore enfin
La Cité de Dieu,
Où se lèvent les étoiles
De l’éternel matin…
19 octobre 1995
François Brousse
Le Pas des songes, Clamart, Éd. La Licorne Ailée, 2001, p. 216
L’impérialisme et la cruauté de la Rome guerrière, assoiffée de tortures, sont passés dans la Rome catholique. Mais en s’imprégnant de métaphysique, ces monstrueux instincts prirent une forme délirante : ils inventèrent l’éternité de l’enfer. Ainsi la volonté de puissance et la vengeance des despotes trouvèrent leur pleine satisfaction.
François Brousse
Revue BMP, N°47-48, juin-juill. 1987
JOIE
J’ai l’éternelle joie
Des amours infinies
Dans l’aube qui rougeoie
Dans la haute harmonie.
J’ai le baiser savant
Des pensées et des songes
Dans le livre vivant
Où tout le cosmos plonge.
La folie, la sagesse
Se mêlent tendrement
La blême sauvagesse
M’a sacré son amant.
Et je m’évanouis
Dans l’incommensurable
Nul mortel n’a joui
De l’âme immesurable.
6 août 1992
François Brousse
La Rosée des constellations, Clamart, Éd. la Licorne Ailée, 1991, p. 41
L’Idée est la sphère infinie des images. L’idée d’homme, par exemple, englobe tous les hommes réels qui ont vécu dans le passé, qui vivent dans le présent et qui vivront dans l’avenir ; en outre, elle renferme tous les hommes simplement possibles. Son royaume n’a pas de limites.
L’idée est donc infinie.
Mais elle se contente de réaliser la puissance de l’Esprit. L’Idée est un effet de la cause Esprit. Notre esprit crée les idées. Comme la cause contient au moins autant de réalité que l’effet produit par elle, puisque l’idée‑effet est infinie, la cause‑esprit doit être également infinie. Premier résultat, fort appréciable : l’infinité de l’Esprit.
Qui dit infinité, dit éternité, car la mort est une limite, et l’infini n’a pas de limites. Voilà une démonstration claire de l’éternité de l’âme. Je dis éternité et non immortalité, car le commencement est aussi une limite. L’âme infinie n’a ni commencement ni fin. Elle existait donc avant la naissance du corps. Elle a vécu, probablement, de nombreuses existences sur de nombreuses planètes. L’âme s’étend dans l’ampleur du cosmos…
Pourtant un cercle fini d’idées infinies remplit le champ de l’âme. En effet, si grande que soit la population de nos idées, elle atteint une borne. Admettons que nos idées égalent en nombre les sauterelles dans un nuage envahissant. Il y en a des trillions. Mais ce nombre fantastique est limité. L’âme embrasse donc un nombre fini d’idées infinies. Elle se présente avec une double face contradictoire : la face finie qui regarde le nombre des idées, la face infinie qui regarde leur substance.
Au‑delà de cette âme partiellement infinie, on conçoit l’existence d’une âme totalement infinie. Au‑delà de l’homme se dresse l’éternel Dieu.
L’Être ineffable serait l’Âme absolue, contenant un nombre infini d’idées infinies. D’où, profonde identité entre l’homme et Dieu.
Mais les Idées de Dieu, au lieu d’être de simples images dans le temps et l’espace, seraient des actes réels en dehors du temps et de l’espace. Les Idées de Dieu formeraient ainsi les modèles indestructibles qui donneraient existence et vie aux choses périssables. On revient par un nouveau détour aux théories mystérieuses de Platon.
François Brousse
Sub Rosa dans Revue BMP, N°113-114, juin-juill. 1993
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